Daria Marx et Eva ont lancé un collectif mixte contre la grossophobie. Bodyshaming, violences médicales, discriminations à l’embauche… les thématiques de luttes ne manquent pas ! Rencontre avec Graspolitique.
« Nous voulons que la question du corps gros soit politique, au sens large du terme« , affirme Daria Marx. Avec son amie militante féministe Eva, elles ont lancé cet automne 2016 le collectif Gras Politique pour répondre au besoin d’une organisation spécifique sur cette oppression, qu’elles subissent toutes les deux au quotidien.
Daria Marx a commencé à militer sur la question à 18 ans à Allegro Fortissimo, une association de lutte contre la grossophobie, surtout active pendant les années 1990 et se concentrant sur l’organisation d’événements conviviaux entre gros-se-s, comme des séances de piscine par exemple. Elle rejoint aussi Pulpe club, centré encore plus sur un esprit festif. « Ce n’était pas assez politique pour moi…« , confie-t-elle. Si les associations existantes se consacrent surtout à ce genre d’événements, c’est parce qu’ « il y a un vrai désert social chez les gros-se-s. En soirée, on a toujours peur de danser, le regard des autres est lourd à supporter« , souligne Eva.
Une mauvaise image des gros-se-s
Pour Daria Marx, militante très active sur les réseaux sociaux, la grossophobie trouve ses sources « dans le problème de la représentation des gros-se-s en France. On peut le devenir pour tout un tas de raisons : milieu social pauvre donc mange mal, troubles alimentaires non soignés, manque de temps pour bien s’alimenter et faire du sport, mauvais accès aux soins… »
L’origine est multifactorielle, alors que l’association « gros-se = personne en mauvaise santé » est bien ancrée dans les mentalités. « Le stigmate « tu es gros-se car c’est ta faute » a la peau dure. Il n’y a pas de bons ou de mauvais gros, certain-e-s mangent « healthy », d’autres pas, ce n’est pas la peine d’émettre un jugement sur leur seule apparence pour autant« , souligne Daria Marx.

« Nous sommes au courant qu’on est grosses ! Inutile de nous infantiliser en nous le répétant à longueur de journée. Il y a des gros-se-s qui n’ont pas envie de maigrir. Être gros-se, cela fait partie de notre identité, d’où la violence de certaines remarques« , insiste Eva.
Mais à partir de quand se définit-on comme gros-se ? « Ce n’est pas parce qu’on pèse tant de kilos, mais lorsqu’on commence à ressentir l’oppression, qu’on en souffre au quotidien. Ne serait-ce que lorsqu’il est impossible de trouver un maillot de bain à sa taille dans une boutique en ville !« , explique Daria Marx.
Discriminations omniprésentes
Au quotidien, les kilos jugés « en trop » sont un fardeau à porter. « Ne pas trouver de vêtements à sa taille ailleurs que sur des sites Internet spécialisés et chers, le matériel médical non adapté, le harcèlement sur Internet, l’image hypersexualisée de la grosse en manque de sexe, la taille des sièges dans les avions, la discrimination à l’embauche… » liste Eva. Sur ce dernier point, elle donne deux exemples : « une amie qui travaille dans la restauration ne peut pas servir en salle, car « sinon les clients ne vont pas prendre de dessert » ! Une autre, esthéticienne, peine à trouver un emploi, « pas le physique du poste ! »« . Autre travers : « on se sent souvent obligée de montrer lors de l’entretien d’embauche qu’on est super dynamique pour compenser l’image de la grosse (fainéante)« , ajoute Daria Marx.

Les ambulances, les chariots de bloc opératoire, les scanners, les tensiomètre et même les techniques médicales ne sont pas adaptées pour les gros-se-s. « Quand on passe des échographies, on peut avoir droit à des remarques du genre « je ne vois rien, il n’y a que du gras ! Ils ne savent pas établir de diagnostic« , illustre Daria Marx.
Le discours médical est souvent méprisant, peu pertinent car pas à l’écoute des besoins des patient-e-s. « Le by pass est proposé tout le temps aux personnes obèses, alors que ce n’est pas une chirurgie facile à vivre, souvent lorsqu’elles se laissent convaincre elles reprennent du poids juste après [le by-pass est une opération chirurgicale consistant à réduire le volume de l’estomac et à modifier le circuit alimentaire, NDLR]. Résultat : elles sont charcutées de l’intérieur, et souffrent physiquement et mentalement« , dénonce-t-elle.
Une thématique invisible dans les milieux militants
« Les gros-se-s sont une population qu’il est difficile de mettre en avant, lorsque l’on s’efforce de se faire oublier au quotidien on ne veut pas se faire remarquer. Il n’y a pas de culture de la lutte », constate Daria Marx. D’où un manque politique autour de cette question. « Les féministes s’en emparent assez peu, alors que cette oppression touche avant tout les femmes, puisqu’il s’agit du corps », poursuit-elle. Même dans les organisations LGBT, la question est invisibilisée : « on réclame la PMA, alors que les grosses ne pourront pas y avoir accès… »
Le mouvement bodypositif a rejoint un peu la question, mais de manière superficielle. « Il faut avoir des cheveux verts, ressembler à une licorne, se montrer nue avec un gros cul et des seins… c’est au final la création d’une nouvelle norme. Il ne faut pas confondre le bodypositif et le fatpositif, même si l’objectif est de montrer qu’on est bien dans son corps ». Si le fatpositivism est bien du bodypositivism, l’inverse n’est pas toujours vrai.
Un premier pas vers l’organisation des Gros-se-s
Avec Gras Politique, les deux fondatrices veulent « lutter contre la grossophobie systémique« . La première thématique, sur la violence médicale, a permis de récolter des témoignages de femmes victimes, mais aussi de produire une liste safe et une liste non-safe de soignant-e-s. « La liste déjà existante créée par Gyn&co est insuffisante, car certaines personnes sont déjà tombées sur des médecins grossophobes« , justifie Daria Marx. Pour le 25 novembre, une brochure d’aide pour les patientes a été concoctée par Gras Politique, avec une version enrichie prévue pour plus tard.
Pour l’instant les actions de Gras Politique se concentrent sur de la récolte de témoignages, l’organisation de groupes de parole, mais aussi du « yogra » non-mixte. « C’est un sport doux, non-compétitif, pratiqué les yeux fermés, que l’on peut commencer et apprécier quel que soit son niveau physique. Nous avions commencé à en faire dans un cours d’une association pour personnes trans, dans un espace bienveillant. Cela nous semblait plus facile que d’aller à un cours « normal » où les autres pratiquant-e-s ont une vision du corps hyper normé« , raconte Daria Marx.
Les prochaines thématiques qui seront abordées par Gras Politique porteront sûrement sur des croisements d’oppressions (la sexualité, les questions LGBT…). « Il est par exemple compliqué pour un mec trans de ne pas être assimilé au mauvais genre car il a une grosse poitrine…« , illustre Daria Marx.
« Il y a un double discours politique assez paradoxal : on fait la guerre à l’obésité, mais concrètement, rien n’est mis en place », regrette Daria Marx, qui rêve de faire des happennings de lancers de gras devant le ministère de la santé, de manifester devant les cabinets de médecins grossophobes, ou encore de créer des gras awards.