Le 24 juin 2020, les députés Bruno Bonnell et François Ruffin ont présenté un rapport sur « les métiers du lien ». Le contenu de ce rapport est plus que problématique à plusieurs niveaux et repose sur une idéologie validiste révoltante.
Les métiers du lien
Qu’est-ce que, tout d’abord les métiers du lien ? Des emplois à domicile, des assistantes maternelles, des accompagnantes d’élèves en situation de handicap, des animatrices périscolaires. Des métiers en très grande majorité féminins (d’où l’utilisation de ce genre dans l’écriture du texte), et qui s’exercent auprès de populations dites « vulnérables » : personnes agées, handicapées, enfants.
En lisant le sommaire de ce rapport, des constatations faites par les principaLEux intéresséEs depuis des années sont pointées du doigt : des emplois indispensables et en plein développement mais précarisés, non reconnus, avec des conditions de travail plus que médiocres. De bonnes idées semblent donc pouvoir enfin émerger par une prise de conscience dans les hautes sphères, faute d’avoir écouté avant les personnes concernées.
Mais messieurs Ruffin et Bonnell tombent dans un piège lourd de conséquences en opposant une fois de plus intérêts des travailleuses et intérêts des personnes avec qui elles travaillent, notamment ceux des personnes handicapées sur lesquels je vais me centrer. Le point de vue des deux députés est présenté comme défendant celui des aides à domicile dont le temps de travail est fractionné, non reconnu, difficile physiquement et psychologiquement, pour des salaires de misère, sans progression possible et avec des formations quasi inexistantes.
L’emploi direct dans la ligne de mire
Si cela est bien réel, un des principaux fautifs pointé par les deux politiques est l’emploi direct qui, selon eux, pratiqué par des personnes « vulnérables », fragilise les conditions de travail des salariées. Leur proposition est donc de supprimer la PCH (allocation permettant aux personnes handicapées de payer leurs aides à domicile) à toute personne physique souhaitant embaucher directement ses auxiliaires de vie. La part belle serait donc donnée aux sociétés prestataires de services qui seraient alors la seule solution pour les personnes handicapées d’avoir recours à des aides à domicile.
Cette constatation est empiriquement complètement fausse, et repose sur un imaginaire hautement validiste qu’il est essentiel de dénoncer. Tout d’abord, les réalités des conditions de travail énoncées plus haut sont avant tout le fruit de politique de management des sociétés prestataires dont les profits sont priorisés par rapport au bien être des salariées. Les aidantes et les aidéEs ne doivent pas créer de liens trop personnels qui pourraient nuire à l’entreprise, poussant à un turn over constant qui est une source de maltraitance pour les deux parties. La course au profit mène les sociétés à ne pas reconnaitre certaines heures travaillées, comme celles passées dans les transports tout au long de la journée pour aller d’un domicile à l’autre. Le manque de préparation et de formation des salariées est accentué par le fait que les sociétés cherchent sans cesse à augmenter leur nombre de clientEs, confrontant perpétuellement les auxiliaires à de nouvelles personnes à qui elles doivent s’adapter dans l’urgence. Tout cela pour un salaire extrêmement bas sur lequel la société prend une large part.
Ces situations sont extrêmement réduites dans l’emploi direct où les personnes handicapées comme les auxiliaires de vie choisissent avec qui elles veulent travailler, et où les conditions d’exercice sont meilleures : possibilité de ne travailler qu’avec une seule personne sur un temps plein donc pas de turn over ni de temps passé dans les transports, un salaire beaucoup plus correct sans intermédiaire, un accès à la formation favorisée par une proximité plus grande avec la personne aidée.
Une idéologie validiste bien ancrée
Au-delà du fait que les allégations de messieurs Ruffin et Bonnell sur les mauvaises conditions de travail en emploi direct sont donc fausses, elles reposent sur une idéologie validiste dangereuse. Il est nécessaire de rappeler que les droits des personnes handicapées, durement acquis par ces dernières, proviennent des avancées du modèle social du handicap et du mouvement pour la vie autonome. Ce mouvement, reconnu aujourd’hui par toutes les instances internationales comme l’ONU, met en avant la sortie des institutions et la libre possibilité, pour les personnes handicapées, de choisir leur mode de vie et la façon dont elles souhaitent acquérir leur autonomie. L’accompagnement personnel y est largement prôné, c’est-à-dire la création d’une relation de travail unique où la personne handicapée a le choix de qui va travailler pour elle et dans quelles conditions.
Tout le contraire d’une perception « vulnérabilisante » qu’évoquent les deux députés puisque la personne handicapée y est rendue maitresse de sa vie et les possibilités lui sont données de formuler ses propres décisions. Mais le validisme dans lequel sont englués nos deux rapporteurs estime que les personnes handicapées n’ont, par essence, pas la capacité de gérer la tâche d’employeurE, faisant fi de toutes les conditions sociales qui créent leurs difficultés. Comme le veut le bon vieux système français résistant, encore et toujours de l’institutionnalisation en réponse, même si elle prive des personnes de leurs droits les plus fondamentaux.
Certes, les personnes handicapées ne sont pas aidées, formées pour être des particulierEs employeurEs, c’est bien pour cela qu’elles ont inventé des réseaux de pairs pour s’entredaider. Oui, les droits des personnes handicapées sont sans cesse attaqués, et c’est bien pour cela que nous apprenons chaque jour un peu plus à nous défendre. Oui, c’est bien pour cela que nous ne vous laisserons pas nous écraser sans rien dire car notre faiblesse nous rend bien plus fortEs que vous ne le serez jamais !