Les associations contre les violences faites aux femmes toujours en difficulté

Avec le mouvement #MeToo et la mobilisation autour du nombre de féminicides commis dans un cadre conjugal, les associations qui œuvrent contre les violences faites aux femmes alertent régulièrement sur le manque de moyens dont elles disposent. Nous les avons sondées à l’automne 2019 afin de faire un petit état des lieux de la situation. Cet article est paru dans notre revue papier fin 2019.

©Ourse Malléchée
Notre méthodologie : Plus de 400 e-mails ont été envoyés à l’automne 2019 à des associations que nous avons identifiées comme œuvrant pour la lutte contre les violences faites aux femmes. 55 d’entre elles ont répondu, dont 40% pour qui la lutte contre les violences faites aux femmes représente leur cœur d'activité, et 53% pour qui c’est une partie des axes d'activités de l'association.  

Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes, encore marquées à chaud par l’événement marketing du Grenelle sur les violences conjugales, et les fausses annonces à répétition, ont répondu à l’automne 2019 à notre questionnaire se voulant être un indicateur de leur santé, leurs difficultés, leurs espoirs.

Des financements pas à la hauteur des besoins

Les associations qui ont répondu à notre questionnaire sont seulement 2 sur 55 à juger que les financements reçus sont suffisants. Pour 97% d’entre elles ces financements sont insuffisants ou très insuffisants. Or, c’est des financements publics que vient la majorité de leur budget (pour 93% d’entre elles).

Ces dernières années les subventions ont baissé progressivement, notamment après le passage de plusieurs régions et départements à droite, qui ont diminué par exemple leurs subventions au Planning familial local, mettant en péril leur existence. Le Planning Familial de Maine et Loire dénonce une situation similaire à beaucoup d’associations : « des subventions publiques en baisse régulière, une grande difficulté à trouver d’autres ressources, un modèle économique de surtravail qui s’impose aux salariées ».

Le financement des actions est souvent précaire, comme le souligne également le Planning Familial de Dordogne : « les appels à projets ne permettent pas de pérenniser nos actions et donc leurs effets pour les personnes concernées ». Des financements incomplets ne permettent pas aux associations de mener à bien toutes leurs actions, comme c’est le cas par exemple pour le Planning familial de Pyrénées-Atlantiques : « les subventions sont concentrées essentiellement sur les deux centres de santé que nous gérons. Peu pour la prévention et les actions de sensibilisation ou de formation ». Les associations gèrent donc l’urgence, les conséquences des violences sur les victimes, mais intervenir en amont de celles-ci reste laborieux.

Si les moyens ne sont pas là, la masse salariée est insuffisante pour mener à bien les actions d’accompagnement. Plus de la moitié des associations ont entre 1 et 10 salarié-e-s, et 10 des associations interrogées affirment ne pas en avoir du tout. Côté bénévoles, les associations s’inscrivent majoritairement dans la tranche « entre 1 et 10 » (45,3%) et la tranche « entre 10 et 30 » (41,5%). Le recrutement des bénévoles est aussi parfois difficile, car les missions demandent un investissement (en temps mais aussi psychique) important, qui nécessite d’être bien formé-e ou encadré-e.

L’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) lance par exemple un appel à l’aide : « nous rencontrons des difficultés à recruter des bénévoles écoutantes pour notre plateforme Écoute Violences Femmes Handicapées : l’engagement sur le long terme et la spécificité des violences vécues par les femmes handicapées sont des freins à notre développement ».

Concernant les ressources des associations, elles viennent aussi des cotisations de leurs bénévoles (53%), de campagnes de dons et crowdfunding (44%), ainsi que d’entreprises privées ou fondations (29%). Parmi les associations interrogées dans notre enquête, 76% d’entre elles considèrent que les difficultés financières figurent parmi les plus grandes difficultés auxquelles elles sont confrontées, 47% citent aussi les difficultés à protéger les victimes et 31% le manque de visibilité.

Un manque de visibilité ?

Un quart des associations interrogées estiment que leur association n’est pas assez connue/visible auprès des victimes. Si le numéro d’appel 3919 est très médiatisé, les associations locales, pourtant actrices clés pour l’accompagnement de proximité, n’ont pas les moyens d’une communication d’envergure.

« Il y a un manque de financements pour produire et distribuer de la documentation. Il est aussi difficile d’atteindre des femmes issues de l’immigration à cause de l’illettrisme, des lacunes en français, et le fait qu’elles sont souvent empêchées de sortir du domicile », souligne Femmes solidaires de la Drôme. Pour l’association La Vie active, ce manque de visibilité est aussi parfois voulu : « il y aurait un côté « stigmatisant » si le dispositif d’aide avait beaucoup de visibilité et de regards posés sur les victimes qui viendraient à se rendre physiquement en ces lieux « ciblés » qui pour certaines pourraient être a contrario, « insécurisants » au regard de leur situation vis à vis de l’auteur des violences ».

Alors que notre question sur la visibilité concernait surtout les victimes, plusieurs associations ont souligné que cela concernait aussi les acteurs/actrices avec lesquel-le-s elles étaient censées collaborer. Sur le sujet des difficultés rencontrées, elles ont été 27% à citer les difficultés avec les autres professionnel-le-s (police, santé, justice…) sollicité-e-s par les victimes, ainsi que 22% des difficultés de coordination avec les acteurs locaux. Le CIDFF (Centres d’information sur les droits des femmes et des famille) de l’Ardèche regrette « les problèmes de communication auprès des professionnels », tandis que le Planning Familial de Maine et Loire souligne qu’il existe toujours « une confusion historiquement compréhensible avec les Centres de planification ». L’antenne réunionnaise de l’Institut de Victimologie (ARIV) regrette également « un manque de coordination et la configuration géographique du département ».

Plusieurs organisations remontent aussi le problème lié à une communication nationale centrée sur le 3919, géré par les associations du réseau Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), qui invisibilisent les autres auprès des professionnel-le-s et des victimes. « Il y a une volonté politique de mettre en lumière seulement quelques associations, notamment celles de la FNSF », souligne Women safe. Cette association d’accompagnement de victimes femmes et enfants, propose d’élaborer « un référencement des associations de manière à créer un écosystème de proximité pour les victimes, identifiables et accessibles ». La suggestion d’avoir « des lieux coordonnés » efficacement est aussi proposée par la Maison des femmes de Saint-Denis, lieu qui propose d’ailleurs un accueil se voulant très complet pour les femmes victimes de violences (gynécologue, psy, groupe de parole… mais aussi la possibilité de porter plainte sur place pour les femmes déjà suivies médicalement par la structure).

Sur la question de la communication, certaines associations renvoient la responsabilité du côté des médias, ou encore de l’État. « Le secrétariat aux droits des femmes ne met pas suffisamment en valeur l’existant mais préfère faire sa propre com », critique le CIDFF de l’Aube.

La fédération nationale GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants), de son côté, constate que « les associations de terrain sont de moins en moins visibles, remplacées par des associations qui ne font que du plaidoyer et du lobbying politisé, mais qui maîtrisent parfaitement les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) et continuent en même temps de donner l’illusion qu’elles sont sur le terrain. Les associations de terrain souffrant de surcroît d’une insuffisance de financements, préfèrent investir en priorité dans l’accompagnement qualitatif des victimes, que dans la communication « buzz ». »

« Les associations ont la tête dans le guidon », souligne l’association Filactions dont l’action s’exerce dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Plusieurs associations nous ont alerté sur leur « burn-out », leur rendant d’ailleurs la tâche difficile pour trouver le temps de remplir ce questionnaire.

Quelles solutions ?

« Aujourd’hui pour lutter contre les violences sexistes, on s’adresse essentiellement aux femmes. Nous pensons que des actions de prévention et d’éducation active doivent concerner aussi les hommes. Si nous voulons qu’ils changent de comportement, nous devons les responsabiliser dès le plus jeune âge », souligne le CEVIF (Collectif pour l’Elimination des Violences Intra Familiales), qui agit sur le département de la Réunion. Le développement d’actions de prévention en milieu scolaire, pour éduquer sur le sexisme et l’égalité semble faire l’unanimité chez les associations sondées.

Le Planning familial de Dordogne souligne aussi que des moyens conséquents doivent être alloués à « la formation des professionnel·les. Les luttes contre les violences faites aux femmes sont transversales à toutes les thématiques liées aux relations affectives, professionnelles, relationnelles, amoureuses, sexuelles, etc. » La problématique de l’accueil dans les commissariats est aussi rapportée par certaines associations qui accompagnent les victimes dans leurs démarches. « Il faut que les plaintes soient prises en compte », réclame le Planning familial des Hautes-Alpes.

L’augmentation des places d’hébergement est aussi une demande récurrente dans les souhaits des associations, qui insistent sur le caractère essentiel d’une « protection véritable des enfants et des femmes y compris avant que soit prise une décision judiciaire. Faire en sorte que la loi sur l’éviction du conjoint violent s’applique », ajoute l’association Abri Côtier Urgence Femmes, qui agit dans le Finistère.

Le 19 novembre 2019, un rapport du Conseil de l’Europe épinglait la France sur le manque d’hébergements consacrés aux femmes victimes de violences, une définition du viol problématique (ne repose pas sur l’absence d’un consentement libre mais exige le recours à la violence, contrainte, menace ou surprise), une réponse pénale « insuffisante », des enfants témoins trop peu soutenus…

Les associations, comme le CIDFF de l’Aube, demandent à ce que déjà soient « appliqués réellement les dispositifs existants et mieux coordonner l’ensemble des aides sur cette thématique sans chercher à faire de l’innovation ou de la communication ». Il ne s’agirait pas de créer de nouvelles choses pour avant tout montrer médiatiquement que le gouvernement agit sur ces questions, mais plutôt mieux financer et appuyer l’existant. « Nous avions l’expertise mais nous manquons de moyens », souligne aussi l’association dédiée aux femmes en situation de handicap Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA). Le mouvement #NousToutes réclamait à la manifestation du 23 novembre 2019 « Un milliard d’euros », pour que l’investissement public soit enfin à la hauteur des enjeux. Plus de 150.000 personnes ont participé aux manifestations en France, une mobilisation enthousiasmante mais suivie de peu d’effets.

Les annonces du 25 novembre 2019, #NousToutes les analysait ainsi : « De nombreuses mesures annoncées existent déjà. Concernant la médiation familiale, la France a ratifié un texte qui interdit la médiation en cas de violences au sein du couple. La formation des professionnel·le·s de l’éducation à la prévention des violences est prévue dans la loi depuis 2010. La levée du secret médical existe déjà en cas de danger de mort. On attendait des mesures de prévention à l’école, des mesures de formation, des places d’hébergement dédiées et financées. On attendait des moyens financiers qui marquent un changement d’échelle. De ce côté, c’est zéro pointé ». Pour le collectif, « la principale information à retenir, c’est que le premier ministre a annoncé que la France allait mobiliser 360 millions contre les violences l’an prochain. C’est quasiment la même somme qu’en 2019 ». Cette somme, qui ne correspond pas à des moyens supplémentaires alloués (comme a essayé de le faire croire le gouvernement) reste bien sûr insuffisante pour enrayer un changement.

Cet article a été publié dans le deuxième numéro de notre revue papier féministe, publié en décembre 2019. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici.

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Journaliste, cette ourse adore écrire sur les thématiques qui lui tiennent à coeur : discriminations, santé, féminisme, luttes… De formation littéraire, c’est une droguée de lecture et d’écriture, mais aussi une militante féministe et politique à ses heures perdues (ou gagnées !). Cette ourse est une gourmande qui ne résiste jamais à un chocolat, ou à un pot de miel… Curieuse de tout, elle traîne ses pattes sur les réseaux sociaux à la recherche de la moindre info. Taquine, elle aime embêter les autres ourses. Elle est aussi connue pour ses grognements et son caractère persévérant. Elle ne lâche rien.

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