Cette semaine, le Honduras puis la Pologne ont adopté des législations contrevenant au droit à l’avortement. Déjà fragilisé par l’épidémie de Covid-19, l’accès à l’IVG dans le monde reste précaire et constamment menacé.

Honduras et Pologne : deux pays qui ont interdit ou quasi-interdit l’avortement cette semaine
La fin du mois de janvier 2021 est marquée par deux législations mettant en péril l’accès à l’avortement. Au Honduras, d’abord ; l’avortement y est interdit par la Constitution depuis 1982, mais le 21 janvier 2021, le Parlement à majorité conservatrice a approuvé une réforme constitutionnelle durcissant cette interdiction : selon le nouveau texte, toute interruption volontaire de grossesse est “interdite et illégale”, et cette clause ne pourra être réformée qu’à la majorité d’au moins trois quarts des membres du Parlement (alors qu’auparavant, le vote des deux tiers des 128 parlementaires du Congrès était suffisant). Le même vote inscrit par ailleurs dans la Constitution l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe. Cette réforme a été présentée par un député du Parti national au pouvoir, Mario Pérez. Depuis le coup d’Etat de 2009 contre le président de gauche Manuel Zelaya, le gouvernement adopte des mesures réactionnaires. La pilule du lendemain a ainsi été interdite en 2012, les contrevenant-e-s s’exposant aux mêmes peines que pour l’avortement : trois à six ans de prison.
Mercredi 27 janvier 2021, c’est en Pologne que le droit à l’avortement se trouve menacé : alors que le Tribunal constitutionnel avait décidé en octobre de restreindre l’avortement légal aux cas de viols et de grossesses mettant en danger la santé de la mère, le gouvernement a inscrit l’arrêt au Journal Officiel. Désormais, le risque encouru pour un avortement pratiqué en raison de malformations du foetus est de trois ans de prison. Jusqu’à aujourd’hui, 98% des avortements en Pologne ont été pratiqués en raison de malformations. Cette réforme est portée par le parti d’extrême droite au pouvoir depuis 2015, Droit et Justice. Ce parti, duquel est issu le président actuel Andrzej Duda, détient une majorité à la Diète (chambre basse du Parlement) avec 195 députés sur 460. Le parti a également réalisé un excellent score lors des élections européennes de 2019, avec plus de 45% des voix et 27 sièges sur 52.
Il ne s’agit pas de la première mesure réactionnaire de Droit et justice ; en 2016, le parti transforme les cours d’éducation sexuelle dans les écoles, les renommant “cours de préparation à la vie de famille” et les confiant aux enseignant-e-s en religion. En 2019, la Cour constitutionnelle polonaise, contrôlée par Droit et justice, autorise les commerçants à refuser des client-e-s homosexuel-le-s au nom de leurs convictions religieuses. Le leader du parti, Jaroslaw Kaczynski, a par ailleurs fait de la lutte anti-LGBT son cheval de bataille et considère la communauté LGBT et la théorie du genre comme une “menace à l’identité, à la nation et à l’État polonais”.
Ces deux législations contrastent fortement avec l’encourageante avancée en Argentine qui avait marqué la fin de l’année 2020 : le 30 décembre, le Congrès argentin a légalisé l’avortement sans conditions jusqu’à 14 semaines de grossesse. Deux ans après l’échec de la première tentative de légalisation, le texte a été voté par les sénateurs avec 38 voix pour, 29 contre et une abstention. L’avortement n’était auparavant permis qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère.
Et ailleurs dans le monde ?
Si l’accès à l’avortement progresse, le droit à l’IVG ne semble jamais totalement acquis. En Europe, plusieurs pays ont légalisé l’avortement récemment :
- au Luxembourg, l’avortement est dépénalisé le 22 décembre 2014. Les Luxembourgeois-e-s ont ainsi accès à l’avortement dans un délai de 12 semaines après le début de la grossesse.
- depuis mars 2018, Chypre autorise également l’IVG jusqu’à 12 semaines de grossesse, sans avoir à justifier comme auparavant d’un risque pour la santé. Le délai est de 19 semaines en cas de viol ou d’inceste.
- en Irlande, avant 2018, il était illégal d‘avorter, sauf pour sauver la vie de la mère. Le 25 mai 2018, un référendum abroge l’article constitutionnel interdisant l’avortement et permet au gouvernement de faire voter une loi permettant l’IVG jusqu’à la douzième semaine de grossesse. L’avortement y est donc autorisé depuis le 13 décembre 2018.
Pourtant, l’avortement n’est pas acquis partout en Europe. En Finlande, il est conditionné : autorisé selon avant 17 ans ou après 40 ans, après quatre enfants ou en raison de difficultés économiques, sociales ou de santé. A Malte, l’IVG est totalement interdite. Les contrevenant-e-s, patient-e-s comme médecins l’ayant pratiquée, risquent jusqu’à 3 ans de prison ferme. L’avortement est également totalement interdit en Andorre : avorter y constitue un délit passible de six mois de prison, et de trois ans de prison et cinq ans d’interdiction d’exercice pour le médecin qui pratique l’intervention. Enfin, le droit à l’avortement est parfois remis en question comme en Pologne. Ainsi, en 2015, L’Espagne interdit au mineur-e-s d’avorter sans consentement parental. Le texte adopté est une version assouplie d’une réforme originale qui avait suscité une vive opposition. Le gouvernement de Mariano Rajoy avait approuvé en 2013 un avant-projet de loi qui interdisait l’avortement sauf en cas de viol ou risque pour la vie ou la santé de la mère. Après des mois de mobilisation, l’exécutif a finalement renoncé à la réforme. En 2010, la gauche avait permis d’avorter sans justification jusqu’à 14 semaines de grossesse, mais le PP (Partido Popular, parti de droite de Mariano Rajoy) avait annoncé vouloir revenir sur cette loi.
Il en va de même de l’autre côté de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, l’arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême (1973) considère que le droit à l’avortement concerne le droit à la vie privée, et est protégé par le quatrième amendement de la Constitution. Cependant, dans les faits, l’accès à l’avortement est parfois ardu, voire impossible. Le nombre d’établissements qui pratiquent l’avortement a diminué de 1 000 en dix ans. Dans le Mississippi, dans le Nebraska, dans le Missouri, plus de 95 % des comtés ne disposent déjà plus de cliniques pratiquant les interruptions de grossesses. Le droit à l’IVG se heurte dans certains Etats à de sérieux obstacles : depuis 2017, au Texas, les avortements sont exclus des assurances maladies ; en mai 2019, le Sénat de l’Alabama vote une loi anti-avortement extrêmement répressive, faisant encourir jusqu’à 99 ans de prison pour un médecin pratiquant l’IVG, sans exception même dans les cas de viols et d’inceste. Depuis cette législation, d’autres États ont également adopté des lois sur l’avortement, notamment le Missouri qui a interdit le recours à l’IVG après la huitième semaine de grossesse ou la Louisiane, après la sixième semaine.
A l’échelle de la planète, selon l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques), dans la majorité des Etats, l’avortement est autorisé uniquement dans des conditions exceptionnelles, par exemple si la vie de la mère est menacée ou s’il existe un risque pour sa santé physique ou mentale. En 2011, seuls 58 pays, soit moins d’un tiers des pays, permettent les interruptions volontaires de grossesse sans justification médicale, morale ou économique. En 2016, 68 pays interdisent encore totalement l’avortement.
Contrecoup des avancées féministes ou « contre-révolution » ?
Comment expliquer que certains pays qui avaient autorisé l’IVG reviennent aujourd’hui sur cette avancée ? Difficile de savoir si les lois anti-IVG traduisent un backlash de la progression des luttes féministes de ces dernières années ou un repli sur les valeurs traditionnelles patriarcales de la famille et des rôles sexo-spécifiques, attribuant aux femmes la procréation comme activité principale, repli causé, entre autres, par la pandémie. Ce retour aux valeurs patriarcales, comme un réflexe face à la menace contre l’humanité posée par le Covid-19, n’est ainsi pas sans rappeler le roman The Handmaid’s Tale de Margaret Atwood (1985). Il se déroule dans un avenir proche, dans lequel la pollution environnementale et les maladies sexuellement transmissibles ont entraîné une baisse de la fécondité, résultant en la prise de pouvoir d’une secte qui a démis les femmes de leur statut de citoyennes, les affectant, pour la plupart, à la catégorie des “Servantes”, uniquement dédiées à la reproduction : elles sont affectées au sein de familles dirigeantes, au service du couple, et violées par le mari chaque mois, en collaboration avec l’épouse, jusqu’à ce qu’elles soient enceintes.
Paul B. Preciado voit dans ces législations une contre-révolution ; il parle d’un tournant néoconservateur mondial reposant sur la négation. Alors que les mouvements de luttes pour les droits des minorités visent à accroître leur représentation et démocratiser leur parole, ce tournant nie leur existence. De la même manière qu’il existe des climato-négationnistes niant le dérèglement climatique, les « genre-négationnistes » nient la dimension construite du genre ainsi que les relations d’oppression et de domination patriarcales. Ce négationnisme passe par la négation de l’existence des personnes intersexes, trans, non binaires, de la réalité sociale des féminicides, des viols, par la considération de l’homosexualité et de la transsexualité comme des maladies mentales et des structures familiales homoparentales ou non binaires comme des formes de désordre et de dysfonctionnement. Les récentes limitations ou interdictions de l’avortement constituent non seulement un rejet du droit de chacun-e à disposer de son corps, mais se sont toujours doublées d’un discours mettant en avant l’importance de la famille hétérosexuelle comme unité structurante.
Ainsi, le 22 octobre 2020, une cérémonie en ligne internationale, diffusée depuis Washington, est organisée, dans le but de signer la déclaration du consensus de Genève. 27 pays, dont le Brésil, l’Égypte, la Hongrie, les Etats-Unis, se donnent quatre objectifs : « Améliorer la santé des femmes et promouvoir l’égalité des chances pour les femmes en politique et dans la société ; préserver la vie humaine ; renforcer la famille en tant qu’unité fondamentale de la société et protéger la souveraineté de la nation dans le contexte de la politique mondiale. » Au cours de la cérémonie, Alex Azar, le représentant de la Maison Blanche, a insisté sur la « souveraineté nationale sur les lois relatives à l’avortement », soulignant qu’« il n’existe pas de droit international à l’avortement et que les États n’ont aucune obligation de le financer ou de le faciliter ». Quelques jours après la cérémonie, la déclaration a été corroborée par la nomination de la juge ouvertement anti-avortement Amy Coney Barrett à la Cour suprême des États-Unis. Amy Coney Barrett serait membre du groupe religieux chrétien américain People of Praise, groupe radical qui aurait servi d’inspiration à… Margaret Atwood, pour l’écriture de The Handmaid’s Tale.
Et en France ? Cadre législatif : – Depuis 2001, la loi fixe à douze semaines de grossesse (14 semaines d’aménorrhée) la période pendant laquelle une femme peut demander une interruption de grossesse. – Jusqu’en 2015, le médecin devait respecter un délai de réflexion d’une semaine entre la demande et la confirmation écrite de la patiente ; ce délai de réflexion obligatoire de 7 jours a été supprimé le 9 avril 2015 – Les frais de soins et d’hospitalisation liés à une IVG sont pris en charge par l’assurance maladie depuis 1983 ; la prise en charge a été portée à 100 % en mars 2013 – La prise en charge intégrale de tous les actes autour de l’IVG (consultations, analyses, échographies, etc.) est effective depuis le 1er avril 2016 – Une femme mineure peut avoir recours à l’avortement sans l’accord de ses parents ou de son responsable légal, à condition qu’elle soit accompagnée d’une personne majeure selon l’article L2212-7 du Code de la Santé Publique Vendredi 19 mars 2020, Laurence Rossignol a déposé un amendement visant à rallonger les délais légaux en France pour pratiquer un avortement dans le cadre du projet de loi Urgence Covid-19. L’amendement a été rapidement rejeté. Le 25 août 2020, une proposition de loi a été déposée au Parlement par les députées Albane Gaillot, Delphine Bagarry, Delphine Batho et plusieurs de leurs collègues. La proposition allonge de deux semaines le délai pour avoir recours à l’IVG, le portant de 12 à 14 semaines ; il propose par ailleurs de supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG, de permettre aux sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales jusqu’à 10 semaines de grossesse et de mettre fin au délai de réflexion de deux jours. Le 8 octobre 2020, l’Assemblée Nationale l’adopte avec modifications, mais le 20 janvier 2021, le Sénat rejette en première lecture la proposition. La proposition devrait donc être rééxaminée à l’Assemblée en février. Dimanche 17 janvier 2021, comme chaque année depuis 2005, un millier de personnes (5 000 selon les organisateurs) se sont rassemblées à Paris place du Trocadéro pour manifester contre l’avortement, à l’appel d’organisations catholiques et traditionalistes. |
Pour aller plus loin :
- Cette carte du Monde Diplomatique datant d’octobre 2020 montre le statut légal de l’avortement dans le monde.
- le droit à l’avortement dans l’Union Européenne : https://www.touteleurope.eu/actualite/le-droit-a-l-avortement-dans-l-union-europeenne.html
- Ce site de l’OMS recense toutes les politiques en matière d’avortement dans le monde