Sorociné, c’est un podcast féministe et inclusif sur le cinéma, animé par la critique de cinéma Pauline Mallet depuis 2018. Comédies romantiques, personnages féminins dans Harry Potter, sorcières, costumes, métiers du cinéma, James Bond girls… Tous les sujets autour du 7ème art y passent, dans des conversations avec un-e ou plusieurs invité-e-s. Sorociné a sorti sa première revue papier en juin 2021. Jusqu’au 18 février 2022, vous pouvez pré-commander le deuxième numéro, consacré aux Etats-Unis sur la période 2010-2020.

Le projet Sorociné commence en 2018 : Pauline Mallet lance un podcast alliant études de genre et cinéma, qui compte aujourd’hui une petite cinquantaine d’épisodes. Avec ses invité-e-s, elle décortique le 7ème art sous toutes les coutures.
En 2021, Sorociné devient également une revue : le premier numéro, sur le thème “Premières”, connaît un franc succès, atteignant largement son objectif de 10 000 euros. Sorociné, c’est aussi un site web régulièrement fourni en chroniques cinéma et un ciné-club depuis septembre 2021 au cinéma Saint-André-des-Arts (Paris 75006).
En 2022, un financement participatif est lancé pour précommander le deuxième numéro de la revue, sur le thème des Etats-Unis (2010-2020). La livraison est estimée en avril 2022.
Nous avons eu la chance de rencontrer Amandine, directrice de publication, pour lui poser quelques questions.
Bonjour ! Pouvez-vous présenter le projet Sorociné, sa genèse, son évolution ? Pourquoi la forme du podcast ?
Amandine : Sorociné est né en 2018, créé par Pauline Mallet peu après l’affaire Weinstein et le mouvement #Metoo. Le média s’est d’abord décliné sous forme de podcast, qui permet par sa forme d’aborder des sujets en profondeur, comme par exemple les héroïnes chez Spielberg (le premier épisode), les Ghibli, et puis plus récemment, la saga Matrix. L’idée à travers Sorociné a été de faire une conversation en non-mixité, en privilégiant une écoute bienveillante et en décryptant les représentations des femmes et des minorités à l’écran. Le podcast permet cet échange et offre des discussions plus abouties. Puis, à travers d’autres épisodes du podcast, on a cherché à aller interroger ce qui se passait derrière la caméra, en abordant notamment les métiers du cinéma : réalisatrice évidemment, mais aussi cheffe-opératrice, costumière ou encore compositrice… L’idée était de rencontrer les techniciennes qui font vivre l’industrie.
Et le confinement est arrivé, et avec lui beaucoup de remise en question. En 2020, les cinémas sont fermés, l’avenir est incertain et on parle depuis un moment de la crise de la presse papier. Et c’est pourtant exactement à ce moment précis qu’on a commencé à réfléchir à cette idée un peu absurde : et si on lançait une revue papier ? Personnellement, il y a deux choses qui ont contribué à ma cinéphilie : les forums Allociné (pour la richesse des interactions, le plus souvent entre passionné-es) et surtout la presse papier. Je pense avoir appris le cinéma et la critique uniquement à travers les Cahiers du Cinéma, Première et Studio Ciné Live, qui m’ont offert une porte d’entrée vers un milieu pour lequel il ne m’était pas permis de rêver. Alors fabriquer une revue, c’est un peu comme s’adresser à soi-même à quatorze ans, et peut-être à d’autres, et leur dire que c’est possible.
En janvier 2021, nous lançons une campagne de crowdfunding pour financer le premier numéro de la revue, intitulé Premières. Avec une couverture signée Marita Amour, et une trentaine de contributeur-ices, nous avons voulu commencer par le commencement et débuter par les premières : les pionnières, bien évidemment, avec Alice Guy, Carole Roussopoulos ou encore Roberta Findlay, mais aussi les premières de cordées, les premières fois à l’écran… La revue se divise en plusieurs grandes catégories : le Matrimoine, qui permet de valoriser les femmes et minorités oublié-es de l’Histoire du cinéma, Sur le plateau, pour aller à la rencontre des techniciennes ; Regards féminins, avec des dossiers thématiques et Grand Angle pour aller plus loin.
Aujourd’hui, Sorociné se décline en trois canaux : web, podcast et revue, qui, s’ils suivent tous une même ligne éditoriale, sont complémentaires. Nous animons également un ciné-club mensuel au cinéma Saint-André des Arts à Paris, où nous avons par exemple programmé une discussion avec le Centre de Beauvoir et la réalisatrice Callisto McNulty autour du film Delphine et Carole, Insoumuses, et plus généralement de l’archivage et de Carole Roussopoulos. Nous avons également accompagné plusieurs films un peu partout en France, comme L’Événement d’Audrey Diwan. Cet échange avec le public nous est précieux car il nous permet de sortir du cercle fermé du média et d’établir une vraie conversation.
Pourquoi consacrer votre deuxième numéro aux Etats-Unis ?
Quand on a commencé à réfléchir au second numéro, Chloé Zhao venait de remporter l’Oscar de la meilleure réalisatrice, et succédait à Kathryn Bigelow. Au fil de nos épisodes, nous avons beaucoup abordé le cinéma américain, que ce soit Spielberg, Kelly Reichardt ou encore Marylin Monroe. Sans pour autant tomber dans une approche tournée uniquement vers les États-Unis, nous avons voulu lui consacrer un numéro entier, car c’est un cinéma qui nous passionne. Et plus précisément la décennie qui s’étend de 2010 à 2020 : #Metoo, l’émergence des plateformes de streaming, la crise du COVID… sont autant d’événements qui ont impactés l’industrie du cinéma, d’une manière ou d’une autre. L’idée était de partir de ce cinéma-là dans ce qu’il a de plus contemporain. Avec l’émergence de nombreuses réalisatrices, nous avons voulu cartographier les États-Unis à travers leur regard, et ainsi essayer de capter les paysages qui les composent aujourd’hui.
Qu’est-ce que c’est, pour vous, un film féministe ?
C’est une question difficile, car le mot féministe a toujours tendance à crisper quand on l’emploie. Je pense déjà qu’il faut partir de ce qu’il n’est pas : quand on dit aborder le cinéma à travers un point de vue féministe, ce n’est pas pour distribuer des bons points et valider ou non une oeuvre. Ce n’est pas une question de morale, et il semble important de le rappeler. Ce n’est pas non plus un film qui coche des cases. Aujourd’hui, c’est formidable de voir que les notions de regards masculin et féminins se sont démocratisées au même titre que le Test de Bechdel, maintenant ce ne sont pas des outils infaillibles, qui sont là uniquement pour aiguiser une analyse, et non pas pour déterminer si un film est féministe ou non. Un film peut très bien être féministe s’il est réalisé par un homme, comme récemment Le Dernier Duel de Ridley Scott, et inversement, une femme ne va pas forcément faire un film féministe, et bien heureusement.
Pour moi, un film féministe, c’est un film qui va prendre un personnage féminin, cis ou trans, et la considérer en tant que sujet. C’est sans doute une définition un peu vague, mais c’est complexe de ne pas tomber dans l’essentialisation. C’est autant Titanic de Cameron que Le Ciel est à Vous de Grémillon par exemple. La question de la convergence des luttes se pose aussi, et notamment à l’inclusion des thématiques queer. Mais ce qui est sûr, c’est qu’un film féministe a plusieurs visages et ne rentre pas dans une case définie. Pour moi c’est surtout un film qui raconte une expérience du féminin : quand Audrey Diwan s’accroche à son personnage féminin, pour en explorer toute l’intimité, c’est un film féministe.
Aussi, je pense qu’il ne faut pas tomber dans l’idée qu’un film féministe est forcément un film bienveillant ou positif. Par essence, le féminisme est politique, et n’a rien de sage. Quand Lizzie Borden fait Born in Flames, la réalisatrice invite à une révolution, qui ne se fera pas sans violence. De même, certains films sont des gestes politiques simplement par leur existence. Si on prend Doris Wishman par exemple, je ne sais pas si elle était personnellement féministe ou non. En revanche, si on prend un film comme Bad Girls Go To Hell, il y a une dimension féministe qui émerge d’une forme de subversion : on lit dans ce roughie, ce sous-genre de la sexploitation basé sur une certaine agressivité, un film sur une femme, traumatisée par son viol, dans lequel les hommes incarnent des prédateurs dangereux. Pourtant, les scènes sont évidemment érotiques, mais la lecture du film qui en sort est elle féministe.
Est-ce que #MeToo a changé quelque chose au cinéma ?
Je pense que c’est indéniable que #MeToo a eu des conséquences sur toute l’industrie, positives et négatives. Je pense déjà qu’il faut arrêter de parler d’une ère post-MeToo car il me semble qu’on est encore en plein dedans. La libération de la parole est un processus qui se fait sur le long terme, malheureusement. Et quand on voit que lorsque Adèle Haenel dénonce, on lui répond par un César à Polanski. C’est peut-être un raccourci, mais la symbolique est là : les choses ne changent pas aussi rapidement qu’on le souhaiterait.
Maintenant, en France notamment, le CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée] a mis en place, à la suite des assises du collectif 50/50, une formation pour prévenir les violences sexuelles, qui conditionne l’accès aux aides. Certes c’est une mesure imparfaite, car elle ne s’adresse qu’à une frange de l’industrie, mais c’est tout de même une formation qui offre les outils pour prévenir le harcèlement sexuel dans le milieu, ce qui est déjà un début. Et c’est une formation qui fait encore beaucoup débat.
J’ai le sentiment que #Metoo a mis sur le devant de la scène les questions liées au féminisme. Il y a la libération de la parole, bien sûr, mais certaines thématiques concernant la représentation ou encore le regard se sont démocratisées, ce qui est une bonne chose. Et il en fallait pas moins pour que Hollywood s’empare du sujet : on voit depuis quelque temps des films fleurir à ce sujet. Il y a l’horrible Scandale de Jay Roch, qui traite le sujet avec une bêtise assez indécente. Mais il y a aussi The Assistant de Kitty Green, passé malheureusement inaperçu, ou encore Le Dernier Duel de Ridley Scott qui se place du côté de la victime.
Quand on parle de cinéma, les premières questions qui nous viennent, ce sont celles autour de la représentation, de l’histoire, des rôles féminins. Pourtant, un film, c’est aussi un-e réalisateur-ice, un-e scénariste, des technicien-ne-s… Quelle place pour le féminisme quand on considère ces rôles-là ?
Il y a une intervention de Marguerite Duras au Festival du Film de Femmes en 1975 qui déclarait : “Le cinéma des femmes est par définition un cinéma différent. Un cinéma différent est un cinéma politique.” C’est une phrase que je trouve formidable, et un peu triste, car elle est toujours autant d’actualité. À mon sens, le féminisme à tout à voir avec ces rôles quand on creuse du côté des professionnelles qui font le cinéma, particulièrement quand on voit celles tombées dans l’oubli. Depuis quelque temps, Alice Guy a été réhabilitée, mais combien d’autres sont oubliées ? Il y a peu, je découvrais à travers un documentaire le travail de Delia Derbyshire, une pionnière de la musique électronique à qui on doit le générique de Doctor Who. Elle n’a jamais été créditée, et il a fallu attendre The Day of the Doctor pour qu’elle le soit … en 2013 donc. De même, la rétrospective consacrée à Kinuyo Tanaka en février va permettre de découvrir six films dont elle a été réalisatrice, et qui sont inédits en France. Tout son cinéma est clairement féministe, et met en avant une expérience féminine, comme dans son chef-d’oeuvre Maternité Éternelle. Alors comment se fait-il qu’on n’ait pas eu accès à son travail de réalisatrice plus tôt ? Aujourd’hui on parle beaucoup de matrimoine, et c’est à mon sens une notion complémentaire du patrimoine, qui permet de réhabiliter les femmes qui ont contribué à l’Histoire du cinéma.
Et pour ce qui est du contemporain, bien sûr que le féminisme a toute sa place, particulièrement concernant la parité derrière la caméra. Chaque année, le collectif 50/50 sort une étude sur la part des femmes dans l’industrie, et les chiffres peinent à bouger : moins de budget, une faible part de réalisatrices parmi les réalisateur-ices (moins de 30%)… Et puis, toute la question du sexisme et des violences sexuelles qu’on retrouve dans le milieu et dans les différents corps de métiers. Il n’y a qu’à se rendre sur le compte insta de Paye ton tournage [@payetontournage] pour se rendre compte de la violence quotidienne. Alors les choses bougent, grâce à des initiatives comme le Collectif 50/50, mais lentement…
Pour ce qui est des blockbusters, on a parlé de remplacer James Bond par une femme, on a eu Captain Marvel (2019) et sa superhéroïne… pour vous, est-ce qu’il y a une réelle dynamique féministe derrière ces choix, ou est-ce une forme de pinkwashing, de vernis commercial, de volonté de “surfer” sur la vague féministe ?
Je pense qu’il ne faut pas être dupe. Hollywood a bien cerné l’aspect mercantile des questions féministes et de représentations, et ne le fait pas par bonté de cœur. Au même titre que la fast fashion qui produit des t-shirt “Girl Power” avec des conditions de travail déplorables derrière, les blockbusters ont bien compris qu’il y avait de l’argent à se faire. Alors oui, c’est théoriquement une bonne chose quand Patty Jenkins se retrouve aux commandes d’un film de super-héroïne pour la première fois. Oui, sans doute que ces films ont pu inspirer certain-es spectateur-ices qui se sentent représenté-es à l’écran. Maintenant en terme de cinéma, car c’est avant tout de cela dont il est question, la qualité laisse vraiment à désirer, et je me pose souvent la question : est-ce qu’on ne mérite pas mieux ? Mais le pire réside sans doute dans ces remakes féminins, comme celui de Ocean’s Eight où on nous vend que braquer des bijoux, c’est une manière d’inspirer les petites filles dans le monde. On se rend bien compte que certains films ont parfaitement intériorisé les notions féministes pour les régurgiter à l’écran, et cocher quelques cases. À mon sens, il faut éviter de tomber dans ce piège.
Et pour finir, une recommandation de film féministe pour nos lecteurices ?
Un film qui va ressortir en salle très prochainement : Variety de Bette Gordon. Une plongée dans un New-York disparu des années 80, avant l’épidémie de Sida, et qui interroge parfaitement la notion de regard féminin, la réappropriation du désir et le voyeurisme : on suit Christine, ouvreuse dans un cinéma porno, obsédée par un inconnu qu’elle va poursuivre dans la nuit. C’est un film formidable, cotonneux malgré l’agressivité du porno, et qui offre le témoignage d’un New-York qui n’existe plus que dans la fiction.