La Maison de la Conversation, dans le 18ème arrondissement de Paris, accueille depuis mars 2022 des cercles de parole en non-mixité consacrés au corps et à la sexualité. Nous avons rencontré Aurore Vincenti, une des deux facilitatrices, qui anime ces cercles de parole avec Adèle Galey.
Comment l’idée vous est-elle venue ? Pourquoi avez-vous jugé que c’était important ?
C’était il y a quatre ans. Nous travaillons toutes les deux dans le soin et le social : Adèle aide des entrepreneur-euse-s à se reconvertir dans le domaine de la solidarité, du social et de l’écologie. Moi, je travaille depuis plusieurs années dans le soin, notamment sur les questions de sexualité, de santé et de violences sexuelles. On a, toutes les deux dans nos parcours, participé à des cercles de parole. On a donc pris cette habitude assez jeunes. On parlait beaucoup de sexualité, et on s’est rendues compte que nommer les difficultés, les interrogations créait un soulagement en face. Avec beaucoup de femmes dans notre entourage, quand on parle sincèrement et sérieusement de sexualité, la parole est une forme de soulagement, on peut enfin dire que cela ne va pas vraiment et qu’on n’ose pas en parler.
En faisant ce constat, nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire à cet endroit-là, parce qu’il y avait beaucoup de souffrances.
Est-ce que le choix de la non-mixité procède d’une démarche militante ?
A l’origine, quand nous avons décidé de le faire, nous ne nous sommes pas dit que c’était politique. On s’est dit que c’était avant tout intime. Mais nous avons bien conscience que l’intime est politique quand on parle des femmes ou des minorités de genre.
Nous avons constaté autour de nous qu’il y avait des sujets très douloureux et sensibles, et quand il s’agit de partager des choses autour du viol, de l’inceste, c’est plus facile de se retrouver entre femmes, qui plus est quand l’agresseur était un homme. Ces femmes victimes de violences, et il y en a beaucoup, arrivent à parler parce qu’il n’y a pas d’hommes dans la salle.
Il y a six mois, nous avons lancé des groupes mixtes, mais pas à la Maison de la Conversation, en s’associant avec deux hommes qu’on connaît, parce qu’on s’est dit qu’on était rodées sur ces questions. Dans les situations de mixité, même dans les cercles de parole, on reproduit, qu’on le veuille ou non, des schémas sociaux classiques avec, notamment, des biais d’autorité : les hommes parlent souvent plus que les femmes… La reproduction de ces schémas peut être dure, surtout lorsqu’il y a eu des violences auparavant. Le choix de la non-mixité pour commencer relevait d’une précaution pour garantir un espace où l’on pouvait contenir les violences.
Un cercle de parole n’est pas une conversation classique ; ce n’est pas un apéro autour d’un verre, mais un cadre où on prend la parole pour exprimer quelque chose et où les autres écoutent. Cette écoute engendre une forme de solennité. Ressortent des souffrances, des douleurs, des violences, qui peuvent être à vif, et c’est pour ça qu’on a fait le choix de la non-mixité, pour protéger et sécuriser cet espace, pour que la violence soit contenue et écoutée avec bienveillance et douceur.
Est-ce que vous préparez les groupes en amont ? Est-ce que vous avez des règles ou des lignes directrices pour l’animation ?
Oui, et nous l’avons beaucoup travaillé au fil des ans. Le cercle a un fonctionnement organique sans cesse ajusté. On donne une thématique en début de cercle, pour lancer la parole, mais ce n’est pas vraiment un thème obligatoire, plutôt une piste. On ne parle pas du thème en amont, car on participe aussi au cercle, on est au même niveau que les participantes, qui d’ailleurs, quand elles viennent régulièrement, peuvent devenir facilitatrices. L’horizontalité est importante. Néanmoins, il n’y a pas d’injonction à parler dans le cercle.
Pour ce qui est des principes de prise de parole, ils suivent des lignes de non-violence, et notamment le fait de parler à la première personne. On parle de soi, de son expérience, ce qui est une des choses les plus difficiles à faire : on a envie de dire “les femmes”, “les hommes”, “la société”, “on”… Le “je” est très difficile à retrouver. Autre grand principe : on laisse la place de parole à la personne qui parle et on ne lui répond pas. On n’est pas là pour apporter des solutions, ce qui est aussi difficile, car c’est très contre-intuitif. On sort du mode du dialogue, on est dans l’écoute et c’est la présence et l’écoute active qui importent. Les conseils peuvent comporter une forme de violence : “tu devrais faire ça”, “tu aurais mieux fait de voir les choses comme ça”… Ne pas avoir la possibilité de répondre rend les choses plus sécurisantes car on sait, en parlant, qu’on ne va pas recevoir en retour une remarque, un conseil mal avisé, un jugement potentiel.
Et puis il y a bien sûr la confidentialité qui est une règle absolue ! On ne nomme pas les gens en dehors du cercle de parole.
Tous ces principes garantissent la sécurité de ce qui est dit. Après des années, Adèle et moi sommes encore très émues de ce qui émerge dans ces cercles, de ce qui parvient à être dit. Nous nous laissons toujours surprendre !
Comment choisissez-vous les thèmes, et pourquoi certains plutôt que d’autres ?
Nous travaillons avec notre expérience et notre intuition. Nous avons commencé sur des choses simples, qui ne regardent que soi : comment j’ai découvert la sexualité, par exemple.
On a des thématiques variées autour de la sexualité, l’intimité, le corps : la masturbation, les règles, les poils, les fluides du corps…
Certaines ont un caractère un peu plus psychologique : qu’est-ce que ma mère m’a transmis de sa féminité, la petite fille que j’étais…
Est-ce que vous avez des retours des participantes sur ce que les cercles leur ont apporté ?
Oui, nous avons des retours. Un cercle de parole dure deux heures et il est découpé en deux parties : une heure et demie de parole sur la thématique et une demi-heure dédiée à la possibilité de dire ce qu’on a pas encore pu dire, pour éviter de quitter le cercle en gardant quelque chose sur le coeur, ou de parler de l’expérience du cercle en elle-même, toujours selon les mêmes principes de prise de parole.
Souvent, il y a beaucoup de gratitude ; la chose qui revient souvent, c’est l’idée que c’est très rare de pouvoir parler et d’écouter comme ça, qu’on ne fait pas cette expérience ailleurs.
Depuis quatre ans, on a un noyau qui revient très régulièrement. A la Maison de la Conversation, ça fait un mois, donc on ne sait pas encore si les personnes vont revenir, mais ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète. Les cercles sont gratuits, l’endroit est doux, il y a un temps tranquille avant pour se rencontrer, discuter, boire un coup… C’est un moment calme où on se glisse dans un autre rythme, où on peut réfléchir à soi. Une chose importante dans notre processus : on prend toujours le temps, avant de se mettre à parler, de faire un moment de silence, où on revient dans son corps, on fait une sorte de petite méditation pour revenir à l’instant présent. C’est un portail qui ouvre sur cet espace protégé.
Les cercles ne sont pas un endroit thérapeutique pour autant ; avoir la possibilité de parler intimement de soi dans un espace sans avoir la pression d’avoir quelqu’un-e en face qui sait mieux que moi ce que je ressens, qui est une peur que l’on peut avoir dans le cadre thérapeutique, c’est assez rare et précieux.
Retrouvez le planning des cercles de parole sur l’agenda de la maison de la Conversation. La maison de la Conversation est un lieu d’échanges, de création et d’expérimentation sociale, qui s’appuie sur les valeurs d’égalité, d’inclusion, d’utilité, de sérendipité et de convivialité et qui organise des événements gratuits. Comment s’y rendre ? 10-12 rue Maurice Grimaud, 75018 Paris Métros lignes 4 (Porte de Clignancourt) et 13 (Porte de Saint-Ouen) Bus 60 et 95 (René Binet) Tram T3B (A. Compoint – Porte de Montmartre) |