L’histoire de l’autodéfense retrace celle des oppressions. Les régimes racistes, capitalistes, patriarcaux, ont défini quels corps étaient dignes et légitimes d’être défendus ou à se défendre, et lesquels ne l’étaient pas. L’autodéfense a été et est toujours un moyen pour ces corps désarmés de survivre aux oppressions et de se définir comme sujet politique. L’histoire des pratiques d’autodéfense n’est pas monolithique, de la résistance des personnes mises en esclavage aux entraînements des suffragettes, des Black Panthers aux patrouilles queer aux États-Unis. Le fil rouge entre ces mouvements de résistances et de révoltes, ce sont les corps devenus armes. Dans cet article, il sera plus particulièrement question d’autodéfense féministe, en France.

L’autodéfense féministe s’inscrit dans cet héritage, non linéaire, de corps réappropriés pour se défendre de régimes oppressifs. Dans différentes régions du monde, des personnes subissant les violences sexistes et sexuelles s’organisent pour pouvoir contrarier l’ordre patriarcal. C’est le cas des “gangs de femmes” en Inde, au Kurdistan, en Turquie, ou encore en Égypte pendant le Printemps Arabe. Ici nous parlerons de l’autodéfense féministe dans des régions occidentales (États-Unis, Autriche, Allemagne, France, Suisse…), vécue et racontée par des personnes vivant en France.
L’autodéfense féministe, telle que présentée ici, emprunte à certains arts martiaux une lecture et des techniques de défense. À son initiative, il y a des praticiennes d’arts martiaux, aux États-Unis dans les années 1970, qui ont constaté que leur pratique du combat ne leur permettait pas nécessairement de se défendre face à des agressions sexistes ou sexuelles, entre autres. Certaines sportives, engagées dans la lutte contre les violences sexistes, ont souhaité penser et transmettre des pratiques de défense accessibles face aux situations d’agressions ; soit souvent dans des espaces familiers et par des agresseur-e-s connu-e-s de la victime.
Durant les années 1970-1990, ces techniques d’autodéfense féministe se développent dans d’autres régions, notamment en Autriche, en Suisse, en Allemagne, en Belgique et au Canada, avant d’être introduites en France dans les années 2000. Différentes méthodes existent, dont les principales en France sont le Seito Boe (aussi appelée la méthode Garance), le Wendo, le FemDoChi, et la méthode Riposte. Toutes visent à prévenir des risques d’agressions en proposant des outils de défense verbale, physique et émotionnelle aux personnes rendues vulnérables par le système patriarcal. Il est possible de découvrir l’autodéfense féministe en participant à des stages dont la durée varie de 3h à 2 jours, qui se déroulent généralement en non-mixité choisie, sans hommes cis.
Cath, co-présidente de l’association Titanes :
« De mon premier stage, je me souviens du fantastique sentiment de puissance joyeuse à l’issue de la première journée. Je l’ai fait à Lyon avec une amie et ma nièce. Le soir on s’est retrouvées avec l’envie de se faire emmerder pour pouvoir se défendre. On dégageait tellement de confiance en nous que personne n’est venu. Je me souviens de la puissance que dégageait une des formatrices, notamment quand elle criait.
J’ai en tête une situation où l’autodéfense m’a servi. J’étais encore avocate. Je n’aimais pas la plaidoirie. Un jour, je me suis retrouvée devant un adversaire malhonnête. Il s’est avancé vers moi, au-delà de son territoire. Avant l’autodéfense j’aurais eu peur, j’aurais reculé. Là, au contraire, je me suis instinctivement avancée. Il a continué à avancer et voyant que je ne reculais pas, il a fini par se retirer. Et je trouve que c’est un mélange à la fois d’autodéfense verbale et physique. Cela illustre bien le fait que tu deviens capable de répliquer d’une autre manière quand tu as la confiance physique dans ton corps et que tu n’as plus peur d’être agressée.
Si je dirais que l’autodéfense prend de l’ampleur ? Depuis que j’ai créé l’association Titanes en 2015, très nettement. Il n’y a plus de pénurie d’animatrices aujourd’hui. Les associations qui se sont installées ont fait du réseau, se sont fait connaître, notamment par le bouche-à-oreille. Maintenant, une annonce Facebook suffit, voire on peut avoir de l’attente. En revanche, nous sommes à un tournant. L’autodéfense féministe est sortie des réseaux militants confidentiels voire radicaux. Actuellement, les animatrices ne peuvent pas en vivre, les financements sont à petite échelle, avec des animations qui ne peuvent pas être faites en grande quantité. Il est possible que d’ici 3 ans il manque de nouveau de formatrices. Sinon, il faudra créer des emplois, avec d’autres activités que les stages d’autodéfense. Dans ce sens, on fait face à un autre problème inhérent à l’autodéfense. Elle se construit avec des personnalités militantes fortes, et dans un milieu militant minoritaire et confidentiel. Et la question de l’étendre pose la question de perdre cette âme militante. Je pense que s’étendre tout en gardant une pureté militante, ce n’est pas possible. »

Janique, ancienne formatrice à l’association Faire Face :
« Mon premier stage d’autodéfense féministe c’était un atelier de 3 heures à Toulouse. Dans les souvenirs les plus marquants, il y a « la planche » (exercice de force physique). Après ça, j’ai vu mes poings comme des armes. Je me suis sentie vraiment puissante. Ça a été un déclic, un révélateur. Je me rappelle aussi de l’impact que le stage avait sur les autres participantes. Je suis ressortie de là avec l’envie de me former et de transmettre ces techniques. J’ai trouvé ce stage super powerful ! Tout ça en 3 heures !
Du coup, c’était resté un rêve. Entre-temps, j’ai travaillé et je suis partie en voyage. Peu de temps après mon retour, une annonce a été publiée par l’association Faire Face. Je me suis présentée. Il y a eu une bonne accroche avec une des salariées. Ça s’est fait comme ça, je me suis formée en assistant à des stages. Je suis aussi allée faire des formations dans d’autres associations.
En tant que formatrice, je souhaite transmettre la confiance en soi, la découverte de la puissance que l’on peut avoir, et la légitime défense. C’est valoriser les stratégies que les participantes ont déjà pour se défendre. C’est aussi une expérience forte de sororité. Si je devais élargir, je parlerais de révolution féministe. J’aime bien dans le livre d’Irène Zeilinger [Non, c’est non, Petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire, ndlr] quand elle dit : « si les mecs avaient peur de se faire défoncer la gueule quand ils agressent, on ne vivrait plus dans le même monde. » Je trouve que c’est révolutionnaire parce que c’est un peu marxiste aussi. Cette découverte d’être une classe en soi et pour soi. Il y a un déclic qui passe par le corps. Cette force s’atténue toujours avec le temps. Pour autant, le fait de l’avoir expérimenté cela marque et c’est profondément déterminant dans nos vies. »
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Cet article a été publié dans le troisième numéro de notre revue papier féministe, publié en septembre 2021. Si vous souhaitez l’acheter, c’est encore possible ici.