Marie Albert se présente comme « aventurière, journaliste et autrice féministe ». A 28 ans, elle signe son premier roman, « La Puissance », en autoédition. Elle y raconte, son voyage en cargo, entourée d’hommes, et sa quête de reconstruction après avoir été victime de violences sexuelles. Interview.

© Marie Albert
Pourquoi as-tu entrepris ce voyage en cargo ? Quel en était le but ? Et pourquoi en avoir tiré un roman ?
Marie Albert : « C’était un peu une thérapie par le choc : m’enfermer sur un bateau pendant 4 mois en me confrontant à ma terreur des hommes, pour me reconstruire après avoir subi des violences sexuelles. Je venais de quitter mon copain de l’époque, mon travail… je me suis retrouvée seule et j’ai donc décidé de faire ce voyage en cargo avec que des hommes. Ce livre raconte cette descente des enfers, comment ma santé mentale a progressé et comment j’ai remonté la pente en trouvant une puissance en moi… Ma reconstruction s’est passée pour moi grâce à cette aventure extrême, mais pour d’autres victimes cela peut être plein d’autres choses bien sûr.
J’ai écrit ce livre sur le bateau, j’avais déjà ma première version quand le voyage s’est terminé. J’ai appelé cela un roman, car ce n’est pas un essai et c’est ma version à moi de l’histoire, c’est plus de l’autofiction, je n’ai pas inventé de situations, c’est une sorte de récit de voyage. »
A chaque chapitre, tu recommences ton histoire depuis le début… c’est une structure qui déstabilise, pourquoi l’avoir choisie ?
« Ma première version était écrite au jour le jour sur le bateau, la question d’insérer des flashbacks où je racontais par exemple ma relation avec ma mère, posait problème. J’ai ensuite fait une version chronologique, mais elle manquait de sens. J’ai finalement choisi d’opter pour une forme me permettant de montrer ma progression, d’où je pars (les violences que j’ai subies…) et vers quoi je tends (me libérer du patriarcat !). D’aller du plus sombre aux choses les plus lumineuses.
Bien sûr ce choix a surpris, certaines personnes ont adoré, d’autres non… Je me répète souvent, mais cela fait aussi partie de l’histoire et de mon personnage : je me contredis, je reviens aux mêmes obsessions, je n’arrive pas à m’en sortir mais en même temps je progresse, on avance, et en lisant le livre on a envie de savoir comment cela va finir, il y a des péripéties… »
Tu as nommé ton roman « La Puissance », qu’est-ce que cela symbolise pour toi ? Et où la retrouve-t-on dans ton récit ?
« Ce titre s’est imposé à moi avant même d’écrire le livre. En 2018, on parlait beaucoup d’empowerment féministe, trouver une force en soi pour dépasser des obstacles… Naomi Alderman avait sorti un livre intitulé en anglais « The Power », dont la traduction française a été « Le Pouvoir », alors que ce mot pouvait aussi signifier « la puissance », ce qui n’est pas la même chose… Dans le milieu féministe c’est important de différencier pouvoir et puissance : le pouvoir inclue de la domination, alors que la puissance c’est retrouver une force en soi et ne pas dépendre des autres pour avancer.
Dans mon voyage, je me retrouve avec plein d’obstacles, et en même temps cela me permet de me libérer de plein d’autres choses (mon ex, ma mère, mon travail…). Je me sens plus légère et plus forte, ce qui est aussi lié à mon rapport avec l’autodéfense féministe, que j’ai aussi découverte en 2018. La puissance c’est ne plus avoir peur, avancer dans des directions où personne n’est allé. C’est un travail permanent, un continuum, chercher une puissance qui n’écrase pas les autres mais aide à prendre conscience de sa propre force. Cela permet d’affirmer sa confiance en soi, mais aussi de s’affranchir du male gaze ou encore de se détacher du modèle du couple hétérosexuel… »
Question bonus : tu livres un récit très intime, au langage parfois même cru, pourquoi avoir fait ce choix ?
« Dans ma vie de tous les jours, je n’ai pas de filtre (c’est d’ailleurs le titre de l’un de mes podcasts), je n’ai aucune pudeur. Dans le livre, j’ai mis un avertissement au début pour prévenir qu’il y aurait des passages avec du sexe.
L’intime est politique. Pour moi tout part de là, si je ne parle pas de l’intime je cache alors toute une partie de ce que je ressens. Pour moi, je n’ai pas à avoir honte de parler de mes règles ou de sodomie…
Même dans les livres féministes c’est rare d’avoir des textes crus. Dans un rapport sexuel il y a toujours des choses gênantes, c’est important de les décrire. En tant que femme, on nous a trop éduquées à cacher toutes ces choses de l’intime. »
Livre commandable sur Internet mais aussi en librairie.