Pourquoi je suis devenuE féministe : « NavréE mais je ne suis pas féministe »

Lancé en avril 2020, pendant le confinement en France, notre concours « Pourquoi je suis devenuE féministe » a remporté un beau succès, avec 35 participations. Voici l’une d’entre elles.

©Louis Aucoin

Je me souviens d’un après-midi gris où j’étais devant l’IEP, fumant ma cigarette, le regard baissé. A quoi pouvais-je bien penser ? Peut-être au fait qu’il était difficile de se faire une place auprès de personnes qui n’entendent rien au monde d’où vous venez et qui se rient de vous lorsqu’iels comparent la marque de costard de leur père. Le mien travaille en cotte. Sourires entendus. Grand bien leur fasse. Ce n’est pas mon monde, et je ne veux pas en être. Ce jour-là, Sarah s’avance vers moi. Nous suivons un cours ensemble et avons déjà eu l’occasion de discuter quelques fois. Elle vient de monter une association féministe et me demande si je veux les rejoindre. J’écrase ma cigarette, gênéE.

« Non, je suis navréE mais je ne suis pas féministe. »
J’essaie aujourd’hui de comprendre pourquoi cette réponse me paraissait si évidente. Pourquoi je me sentais aussi loin de cette cause qui détermine aujourd’hui une partie de mon existence ? Je l’ignore. Pourtant, comprendre cette réaction me permettrait peut-être de saisir pourquoi tant de femmes aujourd’hui ne rejoignent pas la lutte, qui promeut pourtant des valeurs essentielles : vivre libres et sans contraintes. Cela devrait être partagé par toutEs, non ?

La révélation eut lieu un dimanche. Je devais préparer un exposé en anglais et n’avais aucune idée de sujet. Une amiE, qui était à la maison, travaillait sur le recul de l’avortement en Espagne. Mon attrait pour l’Amérique du Sud m’avait alors pousséE à consulter la législation sur ce sujet et le constat était sans appel : l’avortement était, dans beaucoup de pays, un crime passible de peines de prison. J’avais trouvé le thème de mon exposé, et bien plus encore. L’année qui avait précédée avait été marquée par un avortement et une fausse couche que j’avais mal vécue, ne comprenant pas pourquoi le sort s’acharnait. Ma famille et mon copain de l’époque avaient pourtant été d’une douceur incommensurable. J’étais privilégiéE et pourtant victime d’une culpabilisation de la société sur mon choix, sur mon corps. Comment imaginer alors le courage qu’il fallait pour avorter illégalement, seulE, avec des médicaments qui mettaient votre vie en danger ? C’était impensable.

Tout s’est enchaîné. J’avais mis le doigt dans l’engrenage. Je suis partiE au Chili militer pour la dépénalisation de l’avortement, puis en Equateur, où j’ai rencontré des femmes extraordinaires qui pratiquaient des avortements clandestins. Je suis rentréE en France pour chercher du travail, et j’obtins le boulot de mes rêves dans une des associations féministes historiques françaises. J’y travaille encore. Sans m’en rendre compte, j’étais devenuE féministe. Le féminisme m’accompagne quotidiennement et me questionne ; dans mon couple, au sein de mes amitiés, auprès de ma famille. Mais surtout il m’apporte des réponses. L’écologie m’est apparuE comme une lutte primordiale : sans terre, il ne sera plus question de lutter pour des idéaux. Nous tomberons juste, les un-E-s après les autres, celleux les plus en bas de l’échelle d’abord, les autres ensuite. Mais lutter de manière féministe, anti-raciste et anti-classiste est possible : voilà ce que m’apprit l’écoféminisme !

Prendre soin de soi et de la terre prend du temps, et revient à changer considérablement son mode de vie. Je n’irai plus passer mes soirées au bar, à refaire le monde mais essayerais d’inventer d’autres formes de sociabilité. Cela implique aussi de pouvoir produire le plus possible ce que nous consommons : en jardinant, en construisant, en fabriquant, en prenant soin. L’écoféminisme n’est pas une promesse vers un avenir radieux qui nous permettrait d’être oisi-f-ve-s. « Ce progrès » n’existe que pour une infime minorité qui exploite, pour ce confort, une grande majorité. Il s’agit donc de trouver comment s’épanouir, avec les gens que l’on aime, dans des travaux concrets pour le commun, et ainsi pour recréer une économie de subsistance.

Georgette Bonraisin

Palmarès du concours
Catégorie « formats originaux »
1 – Caillou dans la chaussure, Anouk
2 – Comme une évidence, d’Ebène
3 – Quelques riens, Csil

Catégorie « textes »
1 – L’histoire d’un cheminement, Susy Garette
2 – Rester en vie, Ju
3 – Paye ton neutre, Feuillue

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