Pourquoi je suis devenuE féministe : L’histoire d’un cheminement

Lancé en avril 2020, pendant le confinement en France, notre concours « Pourquoi je suis devenuE féministe » a remporté un beau succès, avec 35 participations. Voici la production qui a remporté le premier prix dans la catégorie « textes ».

Trigger warning : j’évoque le harcèlement de rue et le viol.

© Mame Boulo

Je me suis installée devant mon ordinateur, avec le sujet que vous me donnez, ce jour. Pourquoi suis-je donc devenue féministe ? Les pensées se bousculent dans ma tête. Comment traiter cette question ? Est-il seulement possible d’y répondre ? Peut-être pourrais-je commencer ma réflexion en me demandant : « quand le suis-je devenue ? ». Cela m’aiderait certainement.

Ne serait-ce pas quand on m’a dit « ce n’est pas beau dans la bouche d’une fille ! » pour la première fois ? Je crois avoir ressenti un léger remous en moi, ce jour-là, certes, mais je l’ai certainement ignoré. Les grandes personnes n’ont t-elles pas raison ?

Quand on m’a réduit à un objet sexuel dès l’école primaire, alors ? En avais-je seulement conscience ? Oh je savais bien que ces noms d’oiseaux n’avaient rien de plaisant mais il est commun pour les enfants d’être cruelLEs entre elleux, dit-on.

Est-ce quand j’ai compris que j’étais devenue trop grande pour manger une sucette ? J’ai appris à mes dépends qu’il ne fait pas bon être une suceuse. Soit. Mais qui aurait envie d’être ce genre de personne ? Soit une fille bien et ravale ton malaise.

Est-ce quand j’ai commencé à me faire klaxonner à quatorze ans ? N’ai-je pas apprécié cette sorte d’adoubement par la rue : tu es une femme désirable, disaient-ils, n’est-ce pas ? Pourtant la nausée me monte aux lèvres quand j’y pense aujourd’hui.

Est-ce quand ma mère m’a dit maladroitement « mais, ton frère, ce n’est pas pareil … », pensant certainement à ce qu’il pourrait m’arriver ? Je me souviens avoir plaidé ma cause à gorge déployée, avec le feu de l’injustice qui me brûlait toute entière, crachant les maux qui m’étouffaient. Mais sa peur n’était-elle pas légitime ?

Est-ce cette fois où une voiture m’a barrée la route ? J’étais à pied, il faisait nuit, la rue était déserte. J’ai senti mon cœur accélérer. J’ai fait comme si de rien n’était… Après une minute interminable, ils sont repartis. J’étais en apnée. J’ai repris mon souffle peu à peu. L’avais-je cherché ?
Ou plutôt ce jour-là, quand je suis sortie de cet appartement, avec une vague de culpabilité, ne comprenant pas ce qu’il s’était passé ? Quand j’ai pensé « c’est de ta faute, tu as cédé ». Quand j’ai enterré ce souvenir en me disant « tu as dû rêver, ça n’a pas vraiment pu se passer comme ça. ». Quand j’ai refusé de sentir ce poids sur ma poitrine qui me faisait suffoquer.

Est-ce quand j’ai appris le mot patriarcat ? Quand j’ai compris que ce n’était pas juste ? Quand la parole s’est libérée sur ce qu’on vivait toutes dans la rue ? Quand enfin on a pu le nommer et que cela a pu exister aux yeux du monde ? Quand j’ai compris que je n’étais pas seule ? Que je ne me faisais pas des idées ? Quand le doux mot de sororité a enfin effleuré mon oreille ?

Peut-être le suis-je simplement devenue un peu plus toutes ces fois. Peut-être que comme je ne suis pas née femme, mais je le suis devenue, je ne suis pas née féministe, mais je le deviens un peu plus tous les jours. Mais pourquoi m’avez-vous donc demandé ? Quelle question difficile ! Je ne sais même pas si je le suis tout à fait, au fond. N’est-ce pas un cheminement de vie ? L’ai-je seulement choisi ? J’ai l’impression que cette vérité s’est imposée à moi sans que je n’y prenne garde. J’aurais aimé peut-être ne pas devenir féministe, ne pas me déconstruire, ne pas voir tout ce qui m’était interdit, ne pas me mettre en colère si souvent et si vainement, ne pas être prise pour une furie à chaque parole, ne pas réaliser qu’il est parfois légitime d’en être une… Mais alors que ce chemin paraît si tranquille, sans questions, comment aurais-je fait pour empêcher l’air de brûler mes poumons ? Pour enlever ce poids insidieux sur ma poitrine, qui augmente chaque jour un peu plus ? Combien de temps aurais-je pu l’ignorer avant qu’il ne m’asphyxie complètement ? Peut-être est-ce là votre réponse au fond. Je suis devenue féministe pour pouvoir respirer.

Susy Garette

Palmarès du concours
Catégorie « formats originaux »
1 – Caillou dans la chaussure, Anouk
2 – Comme une évidence, d’Ebène
3 – Quelques riens, Csil

Catégorie « textes »
1 – L’histoire d’un cheminement, Susy Garette
2 – Rester en vie, Ju
3 – Paye ton neutre, Feuillue

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