Aux origines de l’affiche moderne : le corps de la femme vendeur ?

Depuis quelques temps, la polémique autour des affiches anglaises « Are you beach body ready ? » incendie le net et à raison. Ce n’est plus un secret pour personne, le corps de la femme fait vendre. Mais depuis quand ? Comment en est-on arrivé-e-s là ? A vendre la livraison en magasin avec une femme nue ? (oui, je parle des affiches de Darty, là).

Jules Chéret : l’inventeur de l’affiche moderne

Le début de toute cette histoire se situe à la fin du XIXe siècle. Jules Chéret (1836-1932) est considéré comme l’inventeur de l’affiche moderne. Il développe dans les années 1860 ce qu’on appelle la « chromolithographie » : l’affiche imprimée en couleur. Ce procédé lui permet de laisser libre cours à son imagination. Il commence par des affiches de cirque, d’opéra, de théâtre. Il va vivre quelques difficultés financières qui vont notamment influencer sa production. Et puis, petit à petit il entre dans le monde de la publicité. Avec le soutien de Rimmel, il se verra produire un nombre incalculable d’œuvres.

Apparaît alors un personnage féminin qui se retrouvera très souvent (pour ne pas dire toujours) dans ses affiches. Ce personnage tellement récurrent finira même par porter son nom : la Cherette. Cette femme à la taille marquée, au teint pâle et à la chevelure rousse deviendra la marque de fabrique de Jules Chéret. Ce dernier s’est intéressé à tous les secteurs publicitaires ou presque : culturel (opéra, exposition, presse, tourisme), commerce et industrie… Et sa Cherette se retrouve sur tous ces types d’affiches.

Crédits © Wikipedia

Ci-dessus, trois affiches de Chéret pour du papier de cigarette, du vin et une fête… Aucun lien entre le personnage féminin et le produit à vendre. Pourtant, ça vend parce que c’est agréable à regarder et que les affiches sont pleines de couleur et attirent le regard. C’est ce concept qui est exploité encore aujourd’hui. Il est vrai que dans l’art en général, la femme a toujours été un sujet incontournable. Mais le fait d’entrer dans un concept de pur marketing, rend la chose encore plus violente. Sur ces affiches, vous remarquerez que les femmes sont quand même vêtues de manière plus que correcte. Mais il faut savoir que c’était uniquement vis-à-vis de la censure. Il est attesté que Chéret a fait l’objet de censure à deux reprises au moins pour des personnages féminins peu vêtus.

L’héritage de la Cherette

On retrouve d’autres affichistes qui vont créer leur identité stylistique à partir de figure féminine. Il est possible de citer par exemple Eugène Grasset (1845-1917) dont l’oeuvre sera reconnaissable à cette femme à la longue chevelure rousse et ondulée.

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Leonardo Cappiello est également de ceux qui se serviront de l’iconographie féminine pour produire des affiches de publicité vendeuses. L’affiche pour les chocolat Klaus ci-dessous en est un bon exemple. Du chocolat suisse … Pourquoi une femme en amazone sur un cheval ?

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Bien entendu, vous avez tou-te-s remarqué que toutes ces femmes sont blanches et rousses … Je doute que ce soit le miroir objectif de la société de l’époque. Ces affiches sont le miroir de la publicité actuelle : une obsession pour la représentation fantasmée de la femme.

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Tin Hinan est étudiante en histoire de l’art et anthropologie. Particulièrement touchée par les questions d’oppression des femmes et de racisme, elle va, entre autres, tenter de vous montrer comment l’art peut en être un excellent témoin. Vous la retrouverez souvent dans la chronique Femme & Art mais aussi ici et là selon l’actualité. Image : Lehnert & Landrock, Ouled Naïls, 1905