« Libertinage incompris » ou le mythe du malentendu dans les agressions sexuelles

1. Du concept très problématique de « zone grise »

Il est courant y compris au sein du mouvement féministe, d’accorder une certaine indulgence aux personnes que l’on connaît, que l’on cotoît. Dans le milieu militant, il est excessivement fréquent de se retrouver à devoir se positionner dans des affaires d’agressions sexuelles, voire de viols, et ce alors que l’auteur des faits est une personne familière, et qu’on n’aurait « jamais cru ça », qu’il « n’est pas comme ça ». Il est alors plus facile, psychologiquement, plus confortable, aussi, pour celles et ceux qui ne veulent pas remettre frontalement en cause la parole de la victime – c’est déjà ça… – de recourir à la notion de « zone grise ». En gros, il y aurait le viol avec le « non », la défense physique, et puis… tout le reste. L’insistance de l’agresseur, le degré de conscience de la victime, tout ce qui rend la situation moins « nette », moins facilement lisible pour celles et ceux qui cherchent, au fond, des excuses à l’un tout en paraissant soutenir l’autre.

« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. »
Article 222-22 du Code Pénal

Pourtant, nombre des « excuses » sont en fait des circonstances pénalement aggravantes : le viol est en effet plus lourdement puni « 11° Lorsqu’il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ; 12° Lorsqu’il est commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants. » (Article 222-24 du Code Pénal). Les mêmes alinéas valent pour les agressions sexuelles.

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Campagne du Durham College -Crédits DR ©

2. Qui ne dit mot consent ? Sidération et dissociation

On le sait pourtant, les agressions et les viols sont de façon écrasante commis par des personnes connues de leur victime (80% des viols sur adultes et 94% des viols sur enfants). Cela signifie plein de choses, et entre autres qu’il est encore plus difficile pour celle-ci de résister verbalement et physiquement. Quand une agression est le fait de quelqu’un qu’on connait, a fortiori une personne en qui on avait confiance, la contradiction peut être trop violente pour la psyché de la victime. Se produisent alors, souvent, des phénomènes de sidération, de dissociation et de disjonction psychique.

« Il s’agit de mécanismes psychologiques et neurobiologiques exceptionnels de sauvegarde exceptionnels qui se mettent en place lors du traumatisme. Les traumatismes qui sont susceptibles d’être à l’origine de ces mécanismes psychotraumatismes sont ceux qui vont menacer l’intégrité physique (confrontation à sa propre mort ou à la mort d’autrui) ou l’intégrité psychique : situations terrorisantes par leur anormalité, leur caractère dégradant, inhumain, humiliant, injuste, incompréhensible (l’horreur de la situation va être à l’origine d’un état de stress dépassé représentant un risque vital). (…)

Le non-sens de la violence, son caractère impensable sont responsables de cette effraction psychique, ce non-sens envahit alors totalement l’espace psychique et bloque toutes les représentations mentales. La vie psychique s’arrête, le discours intérieur qui analyse en permanence tout ce qu’une personne est en train de vivre est interrompu, il n’y a plus d’accès à la parole et à la pensée, c’est le vide… il n’y a plus qu’un état de stress extrême qui ne pourra pas être calmé, ni modulé par des représentations mentales qui sont en panne. (…)

Ces mécanismes psychotraumatiques sont à l’origine des conséquences les plus graves et les plus fréquentes des violences et d’un état de souffrance permanent. Si ces conséquences ne sont pas prises en charge elles risquent de transformer la vie des victimes en “un enfer”, en “un état de guerre permanente”, « sans espoir de s’en sortir ».
Ce sont des conséquences normales de situations anormales
. »  (Association Mémoire Traumatique et Victimologie)

Ces phénomènes se traduisent donc par une absence de résistance (verbale ou physique). Or cette absence de résistance que bien des agresseurs prendront ultérieurement comme preuve de leur bonne foi est très loin de ressembler à un consentement enthousiaste. Les victimes, si elles peuvent même parfois participer à l’acte pour « en finir au plus vite », le font souvent avec une certaine inertie, un vide dans le regard, que n’importe quel partenaire un minimum honnête ne peut que remarquer. Encore une fois l’agresseur va dans ces cas-là refuser de prendre en compte ces signaux pour se concentrer sur son envie à lui ; c’est bien là un comportement d’appropriation du corps de l’autre qui n’a rien d’un malentendu.

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« Le consentement est obligatoire, le sexe est optionnel » – Crédits DR ©

3. Rapports de pouvoir, rapports d’affection : quand on ne peut pas dire « non »

Cependant, soyons bien claires : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de manifestation de refus même par l’inertie, qu’il n’y a pas agression ou viol. Ce n’est pas aux victimes de devoir démontrer leur refus : c’est au partenaire de chercher à s’assurer du consentement réel et non contraint.

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Et c’est bien le problème d’une large part des cas : les victimes n’ont même pas la place de manifester leur refus, parce que des rapports de pouvoir et/ou d’affection les enlisent. Quand l’agresseur est un supérieur (professionnel… ou militant), un petit ami, un parent, il est encore plus difficile de le repousser. Il s’agit pourtant, rappelons-le, de circonstances aggravantes. Faire semblant de ne pas avoir conscience de ces rapports de pouvoir est particulièrement hideux de la part de personnes un minimum formées aux questions d’oppressions et de domination, comme Denis Baupin quand il déclare « Pour moi, le harcèlement, c’est quand il y a une volonté d’obliger. Quand la réponse est un non clair et définitif, il n’y a pas de doute : « Quand c’est non, c’est non. » J’ai toujours eu le sentiment d’être respectueux. »

Répétons-le : ce n’est pas si compliqué de s’assurer du consentement, cela demande de pouvoir communiquer, entendre et respecter la réponse, et d’avoir un minimum d’empathie pour tenir compte des signaux non-verbaux. Et s’il existe le moindre rapport de pouvoir à l’égard de la personne envers laquelle on éprouve du désir il est fondamental de tout mettre en place pour permettre à cette personne de refuser (et même de s’interroger sur la nécessité de lui faire part, en premier, de ce désir).

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol »
Article 222-23 du Code Pénal

4. Une erreur n’est pas une excuse

Venons-en à l’aspect le plus compliqué mais sans doute le plus important. Peut-être qu’il existe des cas où, par égocentrisme, par manque de conscience des rapports d’oppression, par altération de la conscience due à la consommation de stupéfiants ou d’alcool, il peut arriver qu’un agresseur ne se rende réellement pas compte qu’il est en train de commettre une agression sexuelle ou un viol.

Mais il est inadmissible d’en faire une condition d’identification des faits.

Une personne qui a été agressée ou violée l’a été indépendamment de l’intention de celui (ou celle) qui a commis l’agression ou le viol.

De même que dans la loi il existe des sanctions pénales à l’encontre de quiconque provoque la mort d’autrui « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement » (Article 221-6 du Code Pénal), c’est-à-dire en cas d’homicide involontaire, l’intention n’empêche pas la faute.

Ce qui caractérise le viol ou l’agression sexuelle, c’est l’absence de consentement de la victime. Alors rappelons avec nos consoeurs nord-américaines : « Yes means Yes, and only Yes means Yes« .

Pour aller plus loin : 

> Le Collectif féministe contre le viol (qui reçoit aussi les appels sur les agressions physiques et sexuelles) : http://cfcv.asso.fr/ et au 0 800 05 95 95

> L’Association contre les violences faites aux femmes au travail : http://www.avft.org/ et 01 45 84 24 24

> L’association Mémoire traumatique et victimologie : http://www.memoiretraumatique.org/
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Crédits B. Deutsch ©

Si on définit le « viol » aussi largement, comme je peux savoir que je ne suis pas en train de « violer » une fille avec qui je sors ?

– C’est vraiment pas compliqué ! Si elle agit comme si elle a envie de sexe, en t’arrachant tes fringues ou en te disant « baise-moi maintenant ! », si elle est aussi partante que toi, alors c’est bon!

Mais si elle est tellement bourrée qu’elle peut à peine marcher droit ou parler clairement, alors elle peut être trop bourrée pour savoir ce qui est en train de se passer. Donc ne la baise pas (ou « le » d’ailleurs).

Et si elle « cède » passivement, vérifie que c’est cool avant d’aller plus loin. Pourquoi c’est si difficile ?

– Parce que !

– Parce quoi ?

– Parce que dans ce cas je risque de ne pas pouvoir la baiser !«