Il arrive souvent que le début de la parentalité (et ses difficultés) soit le moment où une solidarité féminine se manifeste. Cette entraide, permet parfois à de jeunes mères de découvrir une sororité à laquelle elles n’ont pas été habituées.

[NOTE : cet article se concentre sur des témoignages de femmes cis, mais cela ne remet pas en question le fait que des personnes trans ou non-binaires puissent aussi être touché-e-s par le sujet de l'adelphité.]
Julie a accouché au tout début du premier confinement en France, en mars 2020. « Nous nous sommes retrouvé-e-s complètement isolé-e-s avec mon mec, dans un état de détresse très élevée car notre bébé criait tout le temps, ne dormait pas, et il a fallu du temps pour diagnostiquer ce qu’il avait. Dans ce moment très compliqué et de grande solitude, j’ai pu m’appuyer sur une merveilleuse bouée de sauvetage en échangeant avec d’autres mères, via un compte Instagram que j’ai créé », raconte cette femme de 34 ans (@l_aventure_de_devenir_mere). Cette situation, rendue encore plus difficile à cause du confinement strict et du torticolis de son enfant, de nombreuses mères la vivent également : après l’accouchement, ce sont les femmes, de l’entourage ou non, qui se mobilisent pour apporter leur aide.
Autrice du livre « Daronne et féministe », Fabienne Lacoude constate que « si beaucoup de femmes ressentent le besoin de se rapprocher d’autres femmes au moment où elles deviennent mères, c’est parce que c’est un moment de la vie où l’isolement est très important et sous-estimé. On se sent vulnérable et on a besoin d’aide, d’être entourées de personnes qui comprennent ce que l’on vit. »
Et c’est même parfois l’occasion de rapprochements avec sa belle-mère, sa sœur, sa belle-sœur, ou encore sa mère, comme en témoigne Fabienne : « J’ai fait une dépression post-partum et ma mère a été très présente pour moi. On parle beaucoup de rivalité mère-fille mais moins de la sororité qui peut exister entre elles. Si ma mère agissait de manière maternelle avec moi, pour m’aider, elle le faisait aussi en me percevant comme son égale, on pouvait mieux se comprendre grâce à cette expérience commune de la maternité, cette sororité avec elle a été une véritable découverte. »
Pour Juliette, 34 ans, c’est la solidarité entre femmes qui l’a surprise à la naissance de sa fille, qu’elle a décidé d’avoir seule : « Je me suis retrouvée avec une armée de « mères » à mes côtés : la mienne, celles qui le sont depuis longtemps, celles qui viennent de l’être, celles qui aimeraient l’être un jour, des personnes proches mais aussi des inconnues. Mes amis hommes, eux, ont complètement disparu de la circulation. » Avant cette expérience, Juliette ne recherchait pas la compagnie des autres filles et femmes : « je les dénigrais, je les trouvais trop sensibles et fragiles. On nous a appris très tôt à être rivales. Désormais je n’aurais plus jamais le même regard sur une femme, ni le même jugement sur son parcours, à présent je les trouve courageuses et fortes. » Changement aussi radical pour Fabienne : « à la maternité j’ai rencontré plusieurs formes d’entraide entre femmes, avant je ne prêtais pas attention à cette richesse, désormais je sais à quel point c’est vital, et je recherche principalement ce type de relation, c’est devenu central dans ma vie. »
Une entraide du quotidien bienveillante
Mais quelle est cette entraide si particulière aux femmes et aux mères ? « Il y a celles qui ont pris des nouvelles à tous les moments importants (la première fièvre, les maux d’allaitement, le premier jour de crèche…). Celles qui ont su écouter sans juger. Celles qui ont répondu à mes questions et qui m’ont partagé leurs expériences intimes. Celles qui par de petits gestes me faisaient savoir qu’elles savaient par quoi je passais », énumère Juliette. Et puis toute aide concrète qui soulage au quotidien : ménage, course, repas, garde…
Et le rôle des hommes cis dans tout ça ? « Mon conjoint a été très présent durant cette période difficile, mais je sais que ce n’est pas le cas pour toutes les femmes. Et même quand le conjoint est soutenant, ce n’est pas de la même manière, ni de la même qualité qu’entre personnes ayant vécu la même expérience, psychiquement et physiquement, il n’y aura jamais la même compréhension », affirme Fabienne, mère d’une fille de 6 ans. Pour elle, « la sororité, c’est une expérience politique, ce n’est pas seulement deux femmes qui ont vécu une expérience de la maternité, ce sont des relations choisies, safe, à l’inverse de ce qu’on peut parfois trouver dans son entourage (conseils non sollicités, comportements invasifs…). »
Le début de la maternité est souvent l’occasion de la découverte de la puissance des espaces en non-mixité choisie. « Après la naissance de ma fille, je suis allée à plusieurs réunions autour de l’allaitement. J’ai apprécié d’y trouver des oreilles bienveillantes, à force d’écouter les autres on prend aussi conscience de nos besoins, des solutions dont on peut s’inspirer, mais aussi de l’importance de notre bien-être », témoigne Gabrielle, dont la fille a aujourd’hui 4 ans. Elle participe ensuite pendant le confinement à des cercles de parole entre femmes, en ligne. « Cela m’a aidé dans cette période d’hésitation sur mon avenir », rapporte-t-elle.
Julie l’admet, « c’est les mères avec qui j’échangeais sur Instagram qui m’ont sauvée durant les moments difficiles. Quand je faisais des stories à 3h du matin, au bout du rouleau, d’autres mamans échangeaient avec moi, on se partage nos expériences, nos astuces, on se soutient émotionnellement au quotidien ». Elle a aussi créé un groupe Whatsapp avec certaines mères, dont les enfants ont le même âge. « On traverse les mêmes choses au même moment, donc on peut s’entraider. Je n’ose pas trop demander de l’aide d’habitude, alors j’ai été étonnée de voir ce mouvement naturel d’empathie, cette douceur bienveillante et sans jugement », apprécie-t-elle.
Quelques comptes Insta qui ont aidée Julie pendant sa maternité : l’ostéopathe @cathy.losteo, @littlebunbao pour la langue des signes avec les enfants, @allaitons_timoun pour l’allaitement, la féministe @illanaweizman.
Pour Fabienne, également fondatrice du média MILF (consacré aux parentalités féministes), « c’est difficile pour les femmes de notre génération de demander ou d’accepter de l’aide. La norme reste encore l’isolement, l’injonction à se débrouiller seule, se montrer forte. Demander de l’aide c’est passer pour une capricieuse ou une faible, il y a beaucoup de mépris et d’incompréhension. Depuis plusieurs années, on exige des femmes l’impossible : gérer une vie pro à temps plein, s’occuper de ses enfants avec des exigences éducatives élevées, rien perdre de sa vie sociale, conserver une vie sexuelle active et épanouie… » Selon elle, « le besoin d’une sororité entre mères a toujours existé, mais peut-être qu’il était plus facilement comblé dans les siècles précédents, où la vie était davantage communautaire et donc la solidarité plus spontanée. »
Le pouvoir de la non-mixité
Gabrielle n’a pas tout de suite « pris conscience qu’[elle faisait] l’expérience de la sororité, je me disais que cela répondait à mon besoin d’être écoutée et d’écouter les expériences des autres, une démarche informationnelle. Puis c’est devenu bien plus que ça, j’ai compris l’importance du pouvoir de ces cercles de parole entre femmes et de cette solidarité bienveillante, cette énergie qui vient du cœur. Ce n’était pas quelque chose que j’avais expérimenté avant. Je me suis rendue compte ensuite de tout ce qui existait comme espaces d’échanges féminins et associations, que cela soit autour de la parentalité ou encore la sexualité. »
Si certaines comme Gabrielle et Juliette avaient déjà une connaissance du féminisme grâce à leurs lectures, leur pratique restait majoritairement individuelle, contrairement à la sororité qu’elles ont découverte. Pour certaines mères, cette sororité est un premier pas vers un engagement féministe, même s’il n’en porte pas toujours le nom. « La sororité découverte au moment de la maternité peut déboucher vers une prise de conscience féministe (ou un renforcement de ses convictions), mais même avec l’évolution depuis le mouvement #metoo, ce n’est pas encore massif dans l’ensemble de notre société », nuance Fabienne Lacoude. Aujourd’hui, de plus en plus d’organisations (comme MILF) se créent autour de la parentalité et maternité féministes, la parole se libère sur les réseaux sociaux et via des livres, signe d’un changement progressif ?