La maternidad no es destino : le combat des Socorristas en Argentine

30 décembre 2020, l’avortement est légalisé en Argentine. Mais revenons quelques temps en arrière, en 2018, lorsque les débats sur un projet de loi légalisant l’avortement émergent. Le film documentaire « Socorristas – militantes de l’avortement » suit un groupe d’activistes féministes durant cette période agitée.

©Caroline Kim

C’est soir d’avant-première à la SCAM le mercredi 12 octobre 2022 pour le documentaire « Socorristas – militantes de l’avortement » de Caroline Kim. L’ambiance est joviale et la salle vite pleine à craquer. Les lumières s’éteignent, et le documentaire s’ouvre sur le mot « Clandestinas » en lettres de feu, embrasé par des militantes au bord d’une route. 1h10 plus tard, les yeux sont humides et les gorges serrées. La première réaction du public au micro : « tu nous as fait pleurer ».

Le 30 décembre 2020, l’avortement est rendu légal jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse en Argentine. Avant cela, il est illégal d’avorter, sauf si la vie de la mère est en danger ou qu’elle a subi un viol.

Caroline Kim s’installe à Córdoba en 2017 après avoir suivi l’atelier de réalisation documentaire des Ateliers Varan. En 2018, alors qu’elle vit là-bas, un débat national émerge en Argentine sur la légalisation de l’avortement. C’est une évidence : elle décide de suivre et filmer les Socorristas Córdoba Hilando dans leurs activités militantes.

Les Socorristas, entre soutien intime et force militante

Les Socorristas sont reconnaissables en manifestation à leurs perruques roses, mais également à leurs foulards verts, symbole de la lutte pour l’avortement dans toute l’Amérique latine qui a valu à ces mobilisations le surnom de marée verte. Groupes de féministes qui accompagnent les avortements, le mouvement des Socorristas, littéralement les « Sauveteuses », a des équivalents dans toute l’Amérique latine et est maintenant devenu un réseau mondial. Caroline Kim a suivi le groupe local de Córdoba composé d’une quinzaine de personnes, mais les problématiques et difficultés ne sont pas les mêmes dans chaque région et pays.

Tout au long du documentaire, nous les voyons tenir des permanences, guider, informer, accompagner et (se) soutenir. Elles alternent entre l’organisation d’ateliers d’informations pour les personnes ayant besoin d’un avortement et le suivi en ligne avant et pendant la prise des pilules abortives, en l’occurrence le Mifepristone et Misoprostol. La sororité est de mise : avec les Socorristas, personne n’avorte seul‧e, toustes sont accompagné‧es du début à la fin. Tout est mis en place pour que les avortements se déroulent dans les meilleures conditions de sécurité. La réalisatrice le souligne : la prise en charge se fait dans un amour sororal qu’elle n’a pas retrouvé en France, où elle juge les avortements plus solitaires et médicalisés, exception faite des plannings familiaux.

Nous suivons les activistes qui se démènent pour aider au mieux, malgré un agenda rempli par les nombreuses sollicitations et le besoin de garder des places pour les urgences. Elles mettent en route le suivi en calculant avec la personne au bout du fil le nombre de semaines de grossesse, puis en les accompagnant à distance durant toutes les démarches de leur avortement. Elles deviennent ainsi une ressource pour ces personnes qui cherchent à avorter, en leur apportant toutes les informations nécessaires sur la marche à suivre, mais aussi sur les effets qu’auront les pilules abortives sur leur corps. Il est légal de donner des informations et elles s’en tiennent donc à ce suivi, flirtant avec les limites de la loi. Celle qui prend le plus de risque, c’est la personne qui avorte.

©Caroline Kim

Mais nous les voyons aussi manifester, faire des réunions publiques sur de grandes places ou en pleine rue, ou dans leurs déplacements quotidiens, la pancarte « Info Aborto Seguro » accompagnée du numéro de téléphone des Socorristas fermement accrochée à leur sac. L’un des moments les plus forts reste leur visionnage sur un écran géant des débats de l’Assemblée, puis du Sénat, sur la légalisation de l’avortement. Elles sont alors toutes réunies, perdues au milieu d’une foule qui veillera toute la nuit devant les délibérations jusqu’à l’annonce des résultats des votes. Nous sommes transporté‧es par leur énergie collective quand elles défilent pour leurs droits ou que le projet de loi est adopté de justesse pas la chambre des députés en juin 2018. Anéanti‧es par les défaites lorsque le Sénat vote contre le projet de loi, à 7 voix près.

Aux débats nationaux sur l’avortement se superposent les discussions qui ont lieu au sein du groupe des Socorristas, qui revendiquent la légalisation de l’avortement, mais aussi un avortement légal où l’on veut et comme on veut. Elles réclament de pouvoir décider entre l’hôpital et chez elles, et soulignent l’importance du choix afin de laisser la première personne concernée protagoniste de son avortement. Elles souhaitent aussi une aide de l’État afin qu’une accessibilité concrète soit donnée, les médicaments abortifs étant très coûteux.

L’accès à l’avortement toujours menacé dans le monde

Aujourd’hui, l’avortement est légal en Argentine, mais les Socorristas continuent à faire de l’accompagnement. Des victoires similaires ont eu lieu dans d’autres pays, comme en Irlande avec notamment le mouvement Strike4Repeal, pays dans lequel l’avortement était encore illégal jusqu’en décembre 2018. Cependant, à l’échelle mondiale, le droit à l’avortement est loin d’être un acquis. La Global Abortion Policies Database le rappelle durement grâce à sa carte interactive présentant les conditions d’accès l’avortement par pays suivant de nombreux critères légaux. Les lois vont de l’autorisation à la demande de la personne sans conditions de semaines, comme au Canada, à l’interdiction totale sans exceptions. Entre ces deux extrêmes, de multiples conditions sont souvent ajoutées.

Dans bien des pays, le droit recule, le cas le plus récent étant la décision Dobbs vs Jackson Womrn’s Health Organization aux États-Unis en juin 2022 : la Constitution ne donne plus le droit à l’avortement et chaque État est ainsi en droit de légiférer. L’avortement a ainsi été rendu illégal dans de nombreux États. Caroline Kim explique que les Socorristas mexicaines forment actuellement les féministes états-uniennes, la sororité et le partage d’expérience dépassant tristement les frontières.

Il est essentiel de souligner que la légalisation de l’avortement n’empêche pas l’absence de problèmes d’accès. Comme le rappelle une Socorrista espagnole présente pour l’avant-première, « les droits sont acquis en Espagne, mais la loi doit être appliquée. ». Aujourd’hui en France, le Planning Familial dénonce la fermeture de 130 centres IVG ces quinze dernières années, et d’autres resteraient menacés. De plus, malgré une loi actuellement de notre côté, l’avortement reste illégal après 14 semaines de grossesses, les sites anti-avortement de désinformations ne sont pas fermés et les possibilités d’accès demeurent inégales sur le territoire.

Que l’avortement soit légal ou non, il faudra par conséquent toujours se battre pour nos droits. Ce rappel est d’autant plus d’actualité que la première des trois propositions d’inscription de l’avortement dans la constitution française a été refusée par le Sénat ce 19 octobre 2022.

Les « Socorristas – militantes de l’avortement » est donc un document historique essentiel pour la mémoire des luttes et la réalité du militantisme pour l’avortement au quotidien. La lutte continue, et la force de ce documentaire nous enflamme d’autant plus et donne une force bienvenue pour continuer à se battre pour nos droits, faire changer les lois et les faire respecter.

Où voir le film ?

Le documentaire sera diffusé fin novembre à Nice et à Marseille.
Pour suivre ses actualités et connaître les prochaines dates et lieux de diffusion, rendez-vous sur les réseaux sociaux :
Twitter : https://twitter.com/docsocorristas
Facebook : https://www.facebook.com/DocSocorristas/

Pour suivre les actualités des Socorristas en red (littéralement les « Sauveteuses en action »), collectif d’activistes argentines dont font parties les Socorristas Córdoba Hilando : https://socorristasenred.org/

Pour aller plus loin :
- 7 choses à savoir sur la lutte pour l'avortement en France
- Droit à l'avortement en Europe : un accès difficile dans quels pays ?
- Inquiétante semaine pour le droit à l'avortement

Publié par

Apprentie chercheuse en sociologie, je m'intéresse aux questions de genre, de contraception et de santé. Bibliothécaire à mes heures perdues, ma formation littéraire me poursuit dans ma passion pour les lectures tard dans la nuit et les salles obscures. Grande amatrice de bière et autre boustifaille végane, amoureuse de voyages à vélo sous le soleil printanier et de randonnées dans mes volcans natals, je passe le reste de mon temps à débattre et écrire sur les luttes qui me tiennent à cœur.

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