Pourquoi je suis devenu féministe : Remuer

Lancé en avril 2020, pendant le confinement en France, notre concours « Pourquoi je suis devenuE féministe » a remporté un beau succès, avec 35 participations. Voici l’une d’entre elles.

©Sonia Jacqueline

Quand je réfléchis aux origines de mon féminisme, la première pensée qui me vient, c’est toujours
pour ma mère. C’est la première dont j’ai parlé déjà dans un témoignage chez Par et Pour. Je vais
éviter les redites, mais c’est difficile de penser féminisme sans penser à la femme qui t’a élevé-e,
non ?

J’ai le souvenir en tout cas qu’il y avait quelque chose de pourri. Je l’ai perçu dès l’enfance et je ne crois
pas être une exception, avec ou sans maman féministe. Je crois que les enfants le voient très bien, et
s’en débrouillent comme iels peuvent avec leurs stratégies ; généralement, il s’agit de répondre aux
attentes des autres pour éviter les problèmes. Iels apprennent comment on est censé-e se comporter, et
plus tard, iels te le régurgitent. Iels s’adaptent.

Alors moi comme souvent, j’ai échoué mon adaptation. C’est ça que les gens comme moi sont, pour
le monde : des échecs, des déviant-e-s à éliminer, au mieux des cas psychiatriques. Psychiatrisé, je l’ai
été longtemps, et je m’en défais laborieusement aujourd’hui, en prenant la décision de ne pas mettre
d’attest de psychiatre dans mon dossier de changement de mention de sexe. Oui, il faut encore aller
au tribunal pour ça ; c’est très récent, grâce aux militant-e-s acharné-e-s, qu’on n’ait plus besoin
d’être stérilisé-e.

Je suis féministe. Pourtant le féminisme, celui qui se revendique universel, le seul qui était parvenu
à mes blanches oreilles jusque tard, c’est lui aussi qui m’a torturé jusqu’à ma transition. Le genre
n’était que stéréotypes. Une fille pouvait tout être, donc, je ne pouvais être qu’une fille.
Ce que je voyais des personnes trans n’a pas aidé, au début. J’ai vu plein de petits mecs qui passaient
leur temps à assurer qu’ils ne pouvaient qu’être des mecs parce qu’ils jouaient aux petites voitures
quand ils étaient petits. Le féminisme me hurlait aux oreilles.

Heureusement – je remercie le web et les apps de rencontre surtout – j’ai croisé le chemin de
personnes trans et féministes. Et là, bim, changement de discours radical. Même le discours des
petits mecs trans virils ne sonne plus pareil, maintenant. Je me rends compte qu’ils ont tout le temps
besoin de se prouver parce que c’est ce que le monde autour d’eux exige. Le cercle infernal du triage
des « vrais » par la médecine.

C’est là que j’ai commencé à oser, être féministe et trans. Me réconcilier. Serrer bien fort la main de
l’endoc puis aller mettre du make-up ; allaiter mon môme avec la mammec de prévue.
Et c’est là que j’ai osé me pointer dans une asso féministe. Une grosse asso bien identifiée « pour les
filles » avec une longue histoire de féminisme universaliste. D’ailleurs, leur premier événement où
je suis allé, c’était un café au féminin.

Pour moi c’était clair, j’ai pas d’autre expression qui me vient, j’étais venu remuer la merde. Disons
juste remuer, c’est plus joli. Remuer.
1 mouvoir (quelque chose, une partie du corps, des éléments d’un ensemble, etc.) ;
2 émouvoir profondément ;
3 brasser, touiller (remuer la sauce, remuer la boue) ;
4 gigoter, s’agiter (il remue dans son sommeil) ;
5 au sens figuré : commencer à s’agiter, s’agissant d’une action politique.

D’ailleurs cette asso, elle se définit avant tout comme ça : un mouvement. D’autres étaient venus
longtemps avant moi, donner le coup de pied dans la fourmilière. Il suffit pas d’un coup de pied, en
vrai. C’est plutôt en mode calvaire de Sisyphe. Souvent, ces militant-e-s, iels s’y épuisent, et s’y
aigrissent un peu.

Et pourtant, j’ai eu la surprise de voir que, oui, ça s’meut. Ça bouge. It’s alive.
Finalement c’est ça qui fait que je suis féministe : pas pouvoir faire autrement, qu’essayer de faire
bouger, tant qu’il le faudra.

Élie B

Palmarès du concours
Catégorie « formats originaux »
1 – Caillou dans la chaussure, Anouk
2 – Comme une évidence, d’Ebène
3 – Quelques riens, Csil

Catégorie « textes »
1 – L’histoire d’un cheminement, Susy Garette
2 – Rester en vie, Ju
3 – Paye ton neutre, Feuillue

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