Lancé en avril 2020, pendant le confinement en France, notre concours « Pourquoi je suis devenuE féministe » a remporté un beau succès, avec 35 participations. Voici l’une d’entre elles.

Ce mot c’est comme tous les mots, il descend de la bouche des autres jusqu’à moi. On me dit féministe et les trois syllabes me tombent dessus comme un coup sur la tronche. Parfois comme une poignée de main qui dit « bienvenue » – j’allais ajouter ou comme une caresse, pour faire joli, mais j’attends encore le moment où il viendra jusqu’à moi dans une caresse. On me l’a donné et on a aussi voulu me le retirer. On a voulu me refiler des synonymes, ou des astérisques pleines de précaution. Universaliste intersectionnel queer body positive déconstruction commercial anti-choix ; on m’a offert un lexique que j’ai fait rouler sur ma langue avant de le comprendre tout à fait. Une avalanche de mots en plus, rangés dans ma banane. Je les ressors souvent. Je les regarde, je les tiens dans ma paume pour me rappeler d’écouter ton expérience qui n’est jamais exactement la mienne. Aujourd’hui j’utilise féministe et il ne me fait plus peur.
Pourquoi suis-je devenue féministe ?
Je suis devenue une fille le jour où on a lâché de la honte sur mes genoux en disant « cadeau ». Je me touchais, je me dénudais en imaginant des yeux dans le ciel, qui me jugeaient. Une chaussette roulée en boule dans le slip, sous ma jupe à fleurs, j’étais une petite fille qui jouait-prétendait être un garçon, un garçon déguisé en petite fille. La honte était alors mêlée de joie de ne pas être découverte. Félicitations ma fille, tu es jolie. Tu es sage. Tu es silencieuse. On ne l’entend pas on en oublierait presque qu’elle est là ! On m’envoyait au coin, dans ma chambre, et je me masturbais pour me punir. La honte comme fardeau ; la honte de ne pas être une enfant sage, une enfant pure, une enfant parfaite. Alors je suis devenue féministe à travers la honte et la souffrance, oui. Attendez deux minutes, que je déroule la liste des affronts subis, et laissez-moi vous dresser l’inventaire des blessures qui n’ont pas toutes guéries encore. Pourvu qu’on ne compare ni ne justifie plus jamais nos peines après cela, mais qu’on se les donne et les reçoive comme des petits cailloux pleins de compassion et de compréhension mutuelle.
Mais aussi : je suis devenue une femme le jour où je me suis avoué aimer les autres femmes. Et un peu plus quand j’ai pleuré dans les bras d’une autre femme pour enfin, enfin, avouer ma peine, et être réconfortée. Et encore un peu plus quand j’ai conquis la place qu’on ne m’avait pas donnée, mais que je désirais quand même. Je suis devenue une femme quand j’ai compris ma mère. Je suis devenue une femme dans le sourire de mes soeurs et frères d’armes. Et je suis restée féministe grâce à celles et ceux qui portent ce mot.
Marion D.
Palmarès du concours
Catégorie « formats originaux »
1 – Caillou dans la chaussure, Anouk
2 – Comme une évidence, d’Ebène
3 – Quelques riens, Csil
Catégorie « textes »
1 – L’histoire d’un cheminement, Susy Garette
2 – Rester en vie, Ju
3 – Paye ton neutre, Feuillue