Lancé en avril 2020, pendant le confinement en France, notre concours « Pourquoi je suis devenuE féministe » a remporté un beau succès, avec 35 participations. Voici l’une d’entre elles.

Je m’appelle Clémence et j’ai mal commencé dans la vie. J’ai trois frères, deux grands, un petit ; une petite sœur aussi. Je me suis construite dans la vie en constatant et en intégrant qu’il était plus doux d’être un garçon. On peut alors être peu soigneux sans que cela ne nous soit reproché, plus grossier, s’octroyer plus de libertés, être moins bon à l’école voire sécher les cours, avoir l’amour inconditionnel de sa mère, ne pas porter ces barrettes reloues qui soutiennent nos cheveux. Ce n’est pas constamment présent, c’est diffus, un truc impalpable qui relève des sensations mais sur lequel il est difficile de mettre des mots. Plus tard, j’ai compris qu’une partie de ces choses tenaient à ma famille. Mais sondez tous ceux qui ont grandi dans les années 1990 et vous le verrez, le modèle « Mad Men » n’est jamais très loin. J’ai grandi avec le sentiment qu’être un mec c’était cool et qu’invariablement, tu étais cool parce que tu étais un mec.
Et puis j’ai eu 15 puis 16 ans. Un premier amour, X., qui concentrait tout ce qui me plaisait chez les mecs : ce laisser-aller, cette immense culture non-scolaire, ces petits riens que je pouvais enfin toucher des doigts et fréquenter intimement. Et j’ai trouvé ça cool. Mais voilà, lorsque vous l’oubliez, que vous êtes un peu trop dans le « qué ser sera », votre corps finit par vous rappeler ce qui fait de vous « une femme ». Déjà parce qu’il est sujet à commentaires (trop enveloppée, pas assez soignée). Vous êtes une ado et vous ne pouvez déjà plus ne pas vous prendre en charge. J’ai 16 ans et je tombe enceinte. Le grand patatras. Le sexe, ce si grand tabou. Je passe ici sur la manière dont les choses se sont passées. J’ai eu la chance d’être accompagnée par la formidable équipe du Planning familial de Rouen dont j’ai compris la fragilité : une équipe principalement constituée de bénévoles. J’ai compris également que nous, les femmes (aujourd’hui je dirais femmes cis), nous portions en nous une charge subversive, quelque chose en plus, quelque chose que l’on doit maîtriser de nos 12 à 55 ballets pour ne pas tomber en cloque : notre corps.
Et puis j’ai grandi. Je gardais en tête qu’il serait venu un moment où il faudrait bien s’engager afin de prendre ma part à ce grand secret qui nous afflige toutes, la maîtrise de notre fécondité. Que ce qui est arrivé à l’ado que j’étais, arrive encore à 220 000 femmes par an en France et que je devais trouver un moyen d’être là pour elles. La maîtrise de notre corps s’apprend. J’ai rencontré C., par pur hasard dans les rues de Nice en octobre 2016 lors de la campagne « Ceci n’est pas un cintre », lors de la journée mondiale de lutte pour l’avortement. Cette rencontre avec C., unique salariée à l’époque, du Planning familial de Nice était providentielle et raisonnait profondément en moi. Mon engagement a débuté ici.
Cela dit, lors des premières formations qu’on m’a dispensées au sein de la structure, je ne me sentais toujours pas féministe et ne me définissais pas ainsi : vous comprenez, moi je suis un peu comme Tomasi dans Le Péril jeune de Klapisch ; j’ai envie de gueuler sur toutes ces nanas des années 70 pour leur dire que tout ce qu’elles souhaitent, c’est passer de l’asservissement de leur mari à celui du monde du travail, qui tient finalement des mêmes ressorts.
C’était il y a bientôt quatre ans et depuis j’ai mûri. C’est pas « me too », ni les gentillettes chansons d’Angèle qui ont changé quelque chose en moi. Mais de constater que ces inégalités sont structurelles, inhérentes à notre société, et qu’elles nécessitent une lutte et une vigilance de tous les instants. La lutte et l’éducation sont nos armes contre ceux qui pensent que tout cela n’a pas de sens, qu’on en fait trop, nous, les féministes. Les actions, les lectures et les rencontres m’ont forgées, dans un mouvement qui m’entraîne et pour lequel, e ne pourrait jamais revenir en arrière. Je me bats et me battrais pour toutes les femmes, celles qui ont un utérus et celles qui n’en ont pas, ceux qui sont nés dans un corps que la société dit être féminin mais qui ne le sont pas.
Je m’appelle Clémence, j’ai trente ans, je suis féministe et je le vis bien.
Clémence
Palmarès du concours
Catégorie « formats originaux »
1 – Caillou dans la chaussure, Anouk
2 – Comme une évidence, d’Ebène
3 – Quelques riens, Csil
Catégorie « textes »
1 – L’histoire d’un cheminement, Susy Garette
2 – Rester en vie, Ju
3 – Paye ton neutre, Feuillue