Le vêtement, un objet porteur de sens
Le vêtement possède par essence un langage : le choix du tissu, de la couleur, de la forme, est toujours porteur de sens. La douceur de la soie, le côté légèrement rêche du lin n’ont pas dans l’imaginaire collectif la même signification, tout comme les nuances de rouge ou de blanc. De manière consciente ou non, lorsque nous choisissons un vêtement, nous proposons aux autres un discours qui nous est propre.
Le problème survient lorsque c’est la société qui impose un discours aux vêtement, totalement étranger à la personne qui le porte, ou à celle qui l’a créé. C’est le cas avec le slut-shaming. Cette notion venant du Canada pourrait se traduire en français par la « honte des salopes ». Le terme recouvre la stigmatisation, la culpabilisation ou la disqualification des femmes dont l’attitude et/ou le vêtement sont jugés provoquant ou ouvertement sexuels. Par exemple, à l’orée du vêtement sont critiqués ou imaginés le nombre de partenaires sexuels de la personne ; comme si le vêtement portait un message purement sexuel, voire, appelant à la sexualité. Sexualité éminemment critiquable.

Ainsi, avec le slutshaming, trois notions sont à retenir : le jugement (les femmes seraient trop faciles et chercheraient les agressions en s’habillant de cette manière), la dévalorisation (elles ne méritent donc aucun respect) et le danger (le vêtement serait porteur d’appels inconscients pouvant mettre en danger d’agression la personne qui le porte).
« L’affaire Jack Parker » et la prise de conscience française
En 2014, comme cela est raconté sur Madmoizelle, Jack Parker est agressée dans le métro. Un homme profite de la foule pour se baisser, refaire ses lacets et en même temps introduire sa main sous sa jupe, afin de la toucher à travers son collant. C’est une agression sexuelle. Cela aurait pu en rester là, si elle n’avait pas alors posté sur son site son histoire.
Un déferlement de violence apparaît alors ; notamment sur le fait qu’elle portait une jupe. Ce qui est considéré par les internautes comme un appel au viol, en quelque sorte :
« T’as qu’à pas mettre de jupe, sinon. Tu te mets à la place des fois ? des hommes ? [sic] Imagine un instant qu’aux premiers rayons du soleil tous les hommes se mettent à sortir nus avec une érection fièrement dressée vers les cieux ? Parce que c’est la même chose […]. »
Ce commentaire, symptomatique de ceux qu’elle a reçu suite à son article est un cas typique de slutshaming : elle n’est pas la victime de l’agression, mais bien plus l’instigatrice parce qu’elle portait… une jupe. Ce vêtement est supposé par les commentateurs comme étant l’objet ayant causé l’agression. Comme si finalement, la jupe était porteuse d’un discours appelant à l’agression, ou encore de « l’ouverture sexuelle » de la personne qui la porte. La conclusion en serait donc que si une femme porte une jupe, c’est qu’elle souhaite être agressée.
La comparaison avec l’érection masculine est ici particulièrement intéressante, car elle démontre bien le caractère sexuel du vêtement ; caractère que Jack Parker n’avait certainement pas imaginé le matin en l’enfilant. On impose au vêtement un langage qui ne lui est pas propre, qui n’est pas décidé par la personne qui le porte, mais par l’ensemble de la société à travers des amalgames.
Le message est particulièrement destructeur, et participe à la culture du viol qui existe partout dans le monde : de par leur condition de femme, ou en l’occurrence, du fait de leur manière de s’habiller, les femmes ne seraient pas les victimes de leurs agressions, mais leurs instigatrices.
Un discours qui remonte à quelques siècles ?
Le slutshaming n’est pas un phénomène uniquement contemporain. Dans les écrits de Rousseau ou Mirabeau dans les années 1760, une critique de la moralité des femmes à l’orée de leurs vêtements s’opérait déjà :
« Telles sont les raisons qui mettent l’apparence même au nombre des devoirs des femmes, et leur rendent l’honneur et la réputation non moins indispensables que la chasteté. »
Cette citation tirée d’Émile ou de l’éducation publié en 1762 marque le lien intrinsèque qui existe selon l’auteur entre l’apparence des femmes qui se doit d’être chaste (en l’occurrence sans trop de décorations) et leur moralité. En d’autres termes, une femme qui s’habille avec des vêtements trop riche, trop échancrés, est nécessairement une femme de mauvaise vie. Mirabeau quelques années plus tard ajoutera que le manque de moralité des femmes, que l’on remarque dans leurs vêtements, mais aussi dans leurs activités telles que la lectures sont les causes de la décadence de la société française de l’Ancien Régime.
Un paradoxe occidental ?
Le slut-shaming, dont les dérives peuvent par exemple être le body-shaming (c’est-à-dire la critique du corps d’une femme jugé en non adéquation avec les canons de la société), est paradoxal dans la société hyper sexualisée de l’occident. Pour vendre des produits, ou fêter l’arrivée du printemps, des représentations femmes dénudées sont imposées aux yeux de tous. Sans cesse, on demande aux femmes de s’habiller comme les modèles des publicités, de leur ressembler ; sinon, elles ne sont pas de vraies femmes, et ne méritent pas de l’attention. Pourtant, lorsqu’une femme porte une jupe, elle est accusée d’être à l’origine de son agression… Et lorsque des marques sortent des vêtements « pudiques », elles sont appelées au boycott car ne correspondraient pas à la liberté des femmes en France. Paradoxal.