Sámi Blood (Sameblod) : luttes d’une jeune Same pour choisir sa vie

13626531_862005797277563_6365456944047403580_n©Sophia Olsson

Sámi Blood d’Amanda Kernell, a gagné le prix du public « meilleur long-métrage fiction » au FIFF de Créteil, après le label Europa cinemas à la Mostra de Venise, redonne une voix aux Sámis, peuple autochtone persécuté par une partie de la population scandinave pendant des générations et qu’on a aussi appelé “Lapons”.

Le film est ponctué par les actes de bravoure d’une jeune femme same Elle-Marja qui choisit de s’émanciper socialement par les études. Dans ce film poignant qui situe les faits par un flash back en 1933, Elle-Marja tente par tous les moyens de s’intégrer dans un autre monde que celui qui l’a vue naître et va combattre tous les stéréotypes répandus contre les Sames.

Sa lutte pour l’émancipation prend la forme d’un combat dans lequel elle doit choisir son camp. Soit elle quitte définitivement son milieu pour s’intégrer pleinement dans l’autre. Soit elle reste pour toujours là d’où elle vient. C’était du moins le cas dans les années 30, comme la réalisatrice a pu l’apprendre par exemple de certains membres de sa famille, ou de celle de l’actrice principale, Lene Cecilia Sparrok. Après une prise de conscience progressive, marquée par deux événements particulièrement violents et traumatisants, puis une rencontre amoureuse, Elle-Marja fera du déracinement et de l’intégration dans le nouveau monde son combat absolu, laissant derrière elle sa sœur cadette, éleveuse de rennes jusqu’à la fin de ses jours.

Un racisme idéologique et biologique contre les Sames « aux cerveaux trop petits »

On n’apprend pas tous les détails de la persécution du peuple mais la mise en scène met tout de suite l’accent sur certains procédés d’humiliation, de marginalisation utilisés sur le peuple same et les stéréotypes que les scandinaves anti sames ont perpétués.

Sameblod  

©D. R.

De nombreuses scènes sont percutantes, car la mise en scène crée une extrême tension durant laquelle on ne sait pas ce qu’il va advenir. Elle travaille également sur la transformation brutale des sentiments : à la fierté pour Elle-Marja et sa classe d’accueillir des scandinaves de la ville en se montrant bonne élève, parlant suédois impeccablement, succède la peur, la honte et l’horreur d’être traitée comme une bête de foire, une souris de laboratoire, quelque chose d’innommable même, par ceux qui se révèlent être des scientifiques racistes au service de l’idéologie anti sámis. Des mesures cliniques sans aucune explication sont alors pratiquées sur les élèves sames. On comprendra plus tard, par le personnage de la prof qui refuse d’aider Elle-Marja à continuer ses études en ville, que les anti sames étaient « scientifiquement » convaincus que le peuple Sámi était constitué d’êtres aux « cerveaux trop petits », et qu’ils ne pouvaient alors certainement pas prétendre à autre chose qu’élever des rennes. Dans cette scène, la photo a un statut stigmatisant, expose crûment les corps dans un viol des apparences des jeunes femmes sames. Le flash au magnésium de l’appareil photo braqué sur Elle-Marja et le son qu’il émet sont alors aussi puissants qu’un coup de fouet et font d’elle, forcée à « montrer l’exemple », la première victime parmi ses camarades.

Le costume et le chant, marques du peuple Sámi

sami-blood_og©D. R.

D’abord victime, en pleine nature, par un groupe de garçons d’une agression verbale proche de ce qu’on appelle aujourd’hui du « harcèlement de rue », Elle-Marja est ensuite physiquement marquée par ce même groupe, exactement comme on marque un renne, au couteau, ce qui accélère son combat vers l’émancipation qui devra passer par la fugue et surtout le travestissement du vêtement traditionnel same en habit moderne indifférencié.

De la même manière qu’Elle-Marja est présentée comme un modèle pour une action qui se révèle être une humiliation dans la scène de la photo, le costume same, fierté haute en couleur devient alors honteux. Il est brûlé et troqué contre une robe noire de style raffiné mais plus conventionnelle qui convient pour un bal mais pourrait aussi bien être portée pour un deuil.

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© Nadja Hallström, Gustav Pontoppidan

Elle-Marja avait aussi appris le chant joik à sa sœur mais lui avait défendu de le chanter publiquement. Cette ambivalence de la fierté à la honte trouvera son point culminant dans la scène au cours de laquelle Elle-Marja sera invitée à le chanter pour l’anniversaire de Niklas. Les amis du jeune homme lui ont demandé de chanter avec une curiosité anthropologique qui prendra un tour involontairement humiliant pour elle.

Arrête de faire ta suédoise”

C’est aussi par amour que cette volonté de rupture avec ses origines se fait de plus en plus pressante. Une fois sa robe noire enfilée, le plaisir de la rencontre qu’elle fait au bal avec Niklas la pousse à toutes les bravoures. L’amour est malheureusement dans ce film le lieu où l’inégalité se creuse le plus : après la joie de la passion, les sentiments se ternissent dans une dépendance qui devient plus matérielle qu’affective. Niklas semble amoureux, puis développe une attitude qui pourrait se résumer en deux mots : « oui, mais… », avec tout le mépris de classe et le racisme qu’ils peuvent sous-entendre. Il l’aime, oui, mais ses parents ne veulent pas d’elle si longtemps chez eux. Ils sont racistes et pensent que les Sames « ont beaucoup de ressources » et qu’ils sont « fainéants ».

Niklas doit donc la faire partir. Il sait qu’elle a besoin d’argent oui, mais il ne va pas l’aider, alors qu’il appartient à un milieu particulièrement aisé, il faut qu’elle demande à sa famille et pas à la sienne. Ce qu’elle fera, en désespoir de cause, et se verra en premier lieu accusée de « faire [la] suédoise » par sa mère. Elle-Marja ne perd rien de sa détermination à réaliser son rêve de devenir professeure et quitter son milieu. Elle ira même jusqu’à tuer son renne, symbole le plus fort de sa rupture définitive avec sa condition d’éleveuse same.

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Lene Cecilia Sparrok (Rôle d’Elle-Marja en 1933), Amanda Kernell, Maj-Doris Rimpi (Rôle d’Elle-Marja aujourd’hui) © Sameradion & SVT Sápmi

Sameblod est profondément ancré dans la situation des années 1930. Aujourd’hui le peuple Sámi ne subit plus de telles discriminations et peut enfin renvendiquer sa culture. Ce film est essentiel pour dénoncer ce racisme encore trop méconnu. Il apporte également une réflexion sur la lutte des classes et met bien sûr à l’honneur les femmes par cette héroïne à la fois téméraire et fière de son émancipation. Ce film est aussi très important car c’est apparemment un sujet encore trop peu traité, même en Scandinavie, et qui permet aux personnes sames d’exprimer un vrai soulagement de ne plus avoir besoin de choisir aujourd’hui entre leur origine et la vie qu’elles veulent mener.

 

 

 

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